Annick Jaulin
   

Delphine GARDEY et Ilana LÖWY (dir.), L'Invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et du masculin. Paris, Éditions des archives contemporaines, 2000.
(CLIO, 19, 2004)

Ce livre est issu de deux journées d'études organisées par D. Gardey et I. Löwy au Centre de Recherche en Histoire des sciences et des Techniques, journées tenues les 24 janvier et 24 avril 1997 à la Cité des Sciences et de l'Industrie à Paris. La première journée était consacrée au thème : « Genre et science. État de la question historique en France et à l'étranger » et proposait un bilan historiographique. La deuxième journée proposait une réflexion sur « L'invention du naturel : le rôle des sciences dans la conceptualisation et la légitimation du masculin et du féminin », incluant un bilan critique de certaines des problématiques avancées dans les études féministes.
La première partie du livre porte sur les « Études féministes, Gender Studies, Questions d'ici et d'ailleurs » avec quatre contributions : « Au sujet des corps, des techniques et des féminismes » de Nelly Oudshoorn (Pays-Bas) ; « Histoire d'une trajectoire de recherche. De la problématique “genre et sciences” au thème “langage et science” » de Evelyn Fox Keller (États-Unis) ; « Chemins et problèmes de l'histoire des femmes en France » de Michelle Perrot ; « Les débuts de la critique féministe des sciences en France (1978-1988) » de Jeanne Pfeiffer. La deuxième partie concerne les problématiques des sciences humaines : « Les sciences humaines devant le sexe, la nature et le féminin » avec également quatre textes : « Naturalisation de la domination et pouvoir légitime dans la théorie politique classique » de Eleni Varikas ; « Les sexes et la “nature” chez les ethnologues et les ethnologisés (rappel historique) » de Nicole-Claude Mathieu ; « Sociologie contemporaine et re-naturalisation du féminin » de Anne-Marie Devreux et « Universalité de la science et connaissance “situées” » de Ilana Löwy. Quant à la troisième partie, elle met en évidence la complexité et les incertitudes de la détermination biologique du sexe : « Le biologique, le social et le genre ». Trois articles abordent ce thème sous des angles différents : « Nature et homosexualité » de Brigitte Lhomond ; « Sexe, hérédité et pathologies » de Jean-Christophe Coffin et « La bicatégorisation par sexe à “l'épreuve de la science” » de Cynthia Kraus (États-Unis).
Le propos du livre est « une tentative de dialogue » (introduction p. 9) ; un dialogue entre les deux rives de l'Atlantique sur une question partagée : « les liens compliqués qu'entretiennent différentes formes de savoirs scientifiques avec la définition du féminin et du masculin ». Il s'agit de rendre compte des méthodes d'enquête des études féministes, de leurs résultats, mais aussi de mesurer leurs évolutions. Le dialogue est, en effet, nécessaire puisque la problématique des “gender” ou “cultural studies”, dominante aux États-Unis a eu une moindre influence en France où prévaut « la notion de “rapports sociaux de sexe” élaborée par les sociologues françaises » (p. 19). L'étude des évolutions a aussi son importance, d'abord pour marquer leur existence, ensuite pour en dégager le sens. D'abord il y eu « le programme beauvoirien » : « dire, contre les discours naturalistes, l'importance de l'entreprise culturelle et sociale fabriquant les individus féminins » (p. 15), d'où la distinction entre le sexe biologique et le sexe culturel ou genre. Mais cette première différence pouvait conduire à des effets pervers si elle laissait penser que le sexe était un invariant tandis que le genre était, lui, soumis à variations. D'où, dans un second temps (dans les années 1980) la remise en cause de « la fixité de nos perceptions du sexe biologique » ; nombre de chercheuses veulent alors montrer que « le genre précède le sexe » (p. 17). Mais ces problématiques s'inscrivent toutes dans l'évidence de la différence nature/culture et la valident, alors qu'il faudrait vraisemblablement la dépasser. D'où enfin des études qui s'intéressent à « la fabrique du sexe », à la manière dont la différence des sexes est “construite” plutôt que découverte.
Bien qu'évoquée à la marge et de manière non thématique, la question de l'institutionnalisation des études féministes est soulevée. Une certaine tradition de l'histoire des sciences et l'universalisme républicain ne jouent pas en faveur de cette institutionnalisation en France. Même si l'on peut regretter le caractère « fragmentaire » et succinct de cet ouvrage - c'est dit dans l'introduction -, il constitue à la fois une enquête et une réflexion utiles sur « un sujet […] largement sous-exploré ».