Daniel Bermond

Julien apprend la lutte des classes
Le chant des canuts, de Louis Muron (Presses de la Cité)
(Lire, décembre 2002/janvier 2003)

En cet automne 1831, les églises de Lyon sonnent le tocsin, les quartiers de la Croix-Rousse et des Brotteaux s'enflamment, hérissés de barricades, ivres d'une colère qui ne se contient plus. Malgré l'accord intervenu sous les auspices d'un préfet à l'écoute des chefs d'atelier, les industriels de la soie, qui prétextent la concurrence de l'étranger, veulent imposer un «tarif» au rabais. Ils se savent soutenus par le gouvernement de Casimir-Perier et ne craignent que le désordre de la rue, si peu propice aux affaires. Le désordre, le voilà justement, et Julien, le canut, cœur pur et tête fière, entend l'organiser jusqu'au bout, jusqu'à faire plier l'arrogance de Catulle et de ses compères qui en ont appelé à l'arbitrage de Paris.
«Le fabricant mange quand il a faim, le canut quand il a pain.» Marx aurait pu s'approprier la maxime que les anciens comme Simon, le vieil artisan, rappelaient aux leurs quand ils devaient se résigner aux prix pratiqués par les industriels. Pour l'heure, le jeune Julien, tout en filant le parfait amour avec Mariette, tâte de la lutte des classes sur le terrain sans pouvoir donner encore un nom au combat qu'il mène. Est-ce du socialisme? Si le saint-simonisme ambiant inspire des insurgés, c'est d'abord la détresse qui les anime tous. En réponse, Louis-Philippe, à l'avènement duquel ils avaient cru pourtant, leur envoie Soult, le sabreur de Napoléon, le duc de Dalmatie, qui va mater la révolte dans le sang. Une fin en suspens pour ce roman de Louis Muron qui a toute la fraîcheur des joues de Mariette et la générosité de cœur de son canut.