Éric Marlière
Sociétés et jeunesses en difficulté.
Le sentiment d’injustice chez les jeunes d’une cité hlm

(Sociétés et jeunesses en difficulté, Nº 2, septembre 2006)

Résumé
            Cet article se propose d’appréhender le regard que portent les jeunes d’une cité hlm de la proche banlieue parisienne sur les institutions et la société. Il s’appuie sur de l’observation participante et la retranscription de discours informels que peuvent tenir les jeunes entre eux dans leur espace résidentiel. Ces jeunes ne forment pas un ensemble homogène en raison des différences d’âge, de parcours scolaires mais également de pratiques culturelles, ce qui engendre des nuances dans leur vision des institutions et des sociétés. Les étudiants portent leur intérêt sur le monde du travail qu’ils estiment discriminant, les « délinquants » se sentent en conflit avec la police et les musulmans pratiquants redoutent la présence des Renseignements généraux. Toutefois, malgré des trajectoires différentes, ces jeunes ont également un passé commun (histoire migratoire, origine sociale ouvrière) et partagent le même espace résidentiel ce qui, paradoxalement, débouche sur une perception commune où le « cynisme » accompagne leur vision de la société dans laquelle ils vivent.
Abstract

The feeling of injustice amongst young residents of a working class housing estate

            This paper helps us understand the views held by the youth of a working class housing estate in the Paris suburbs on our institutions and society. It is based on participative observations and the transcriptions of informal discussions between the youngsters in their residential area. These youngsters are not a homogenous group because of age differences, schooling and also cultural practices which colour their vision of our institutions and society. Students are mainly interested in the world of employment, which they consider discriminatory, delinquents feel that they are in conflict with the police and practicing Muslims dread the presence of intelligence services. However, despite different routes, these youngsters also share a common past based on migration, working class social origins and share the same residential space which, paradoxically, leads to a common perception where cynicism accompanies their views of the society in which they live.
Extracto

El sentimiento de injusticia en los jovenes de un suburbio Popular

            Este artículo pretende dar cuenta a propósito de la mirada que tienen los jóvenes que viven en un suburbio popular en las afueras de París, a propósito de las Instituciones y de la sociedad.
            Este trabajo se apoya en la observación participativa y en la retranscripción de los discursos informales, que realizan los jóvenes entre ellos , en sus espacios propios. Estos discursos no son todos iguales y/o homogéneos en razón de sus diferencias de edad, de experiencias escolares así también de sus prácticas culturales, lo que tiende a generar sutilezas en torno a sus miradas propias acerca de las Instituciones y de la sociedad.
            Los estudiantes manifiestan su preocupación en torno al medio laboral que aprecian como discriminatorio, los « delincuentes » se sienten en conflicto con la policía y los musulmanes practicantes temen la presencia permanente de los servicios de inteligencia que los controlan . Sin embargo, a pesar de las trayectorias sociales diferentes, estos jóvenes tienen un pasado común , que tiene que ver con la historia migratoria, el origen social obrero y comparten el mismo espacio residencial, lo que paradójicamente, desemboca en una percepción común en donde el « cinismo » acompaña sus visiones de la sociedad actual en la cual están integrados y viven.

Texte intégral
Introduction
Une enquête au cœur des mondes sociaux de la cité
Des groupes de « jeunes » différenciés
Les vétérans, des adultes entre 35 et 50 ans qui fréquentent l’espace résidentiel
La classe d’âge des trentenaires
Les galériens : entre pratiques « déviantes » et insertion professionnelle
Les musulmans pratiquants : des jeunes à la recherche d’autres valeurs
Les invisibles : échapper à la condition ouvrière
Les jeunes adultes : de 20 à 24 ans
Les conformistes : entre études supérieures courtes, « petits jobs » et consommation ostentatoire
Les jeunes délinquants : entre trafic de cannabis, recels et missions en intérim
Les adolescents qui ont atteint la majorité juridique
Les post-adolescents : des jeunes adultes à la croisée des chemins
Les jeunes, les institutions d’encadrement et la politique
Des méthodes policières jugées brutales par les plus jeunes et les « délinquants »
Une surveillance continue des RG, dénoncée par les musulmans pratiquants
L’éducateur spécialisé vu par les galériens : entre profit personnel et espionnage
Les invisibles confrontés au racisme institutionnel et à la discrimination
Le RMI et les institutions d’insertion, paravent d’un système de tromperie pour les vétérans et les galériens
Un sentiment général d’injustice diffus
Les jeunes et la municipalité
L’État vu par les jeunes
Le rôle essentiel de la télévision, moyen de propagande
Humiliation des pères, revanche des fils
Richesse des « blancs » et pillage colonial
Conclusion

Introduction

            Dans le débat public, comme parfois dans les expertises se réclamant des sciences sociales, les rapports des jeunes de milieux populaires aux institutions sont abordés du point de vue de ces dernières. Au cours des années 1990, la plupart des professionnels – policiers, enseignants, travailleurs sociaux ou élus locaux – ont en effet exprimé leurs craintes et leurs plaintes à l’endroit des jeunes avec lesquels ils travaillent. Mais que sait-on du point de vue de ces jeunes ? Les travaux sociologiques sur cette question sont rares et cet article a précisément pour objectif de comprendre le regard porté par ces jeunes sur le monde d’une manière générale. Quelle est la nature du sentiment qu’ils éprouvent dans un contexte économique et social particulièrement dégradé ? Comment perçoivent-ils globalement les institutions et la société ?
            Un ouvrage récent, qui traite de la notion de justice parmi les « jeunes de banlieue » d’une cité hlm de Seine-Saint-Denis, montre que ces jeunes voient la société dans son ensemble comme injuste1. Cherchant à aller plus loin, d’autres travaux récents expliquent le ressentiment de certains jeunes en se référant soit au concept de « violence symbolique2 », soit à celui de « victimation collective3 ». Le premier concept, emprunté à Bourdieu, repose sur l’idée que les institutions et les « classes dominantes » exercent un pouvoir invisible mais néanmoins oppressant et dominateur sur les « classes populaires ». Le second, au contraire, met l’accent sur le sentiment de persécution collective propre à une certaine jeunesse des quartiers populaires, qui trouverait en quelque sorte écho dans la « théorie du complot » et une perception cynique du monde social. Selon le concept utilisé, le point de vue sur la situation et la « vision politique » de ces jeunes prennent un sens tout à fait différent. S’agissant d’un enjeu d’une importance capitale pour comprendre notre société, il s’avère nécessaire d’examiner ces concepts au prisme de la réalité des propos relatifs aux institutions émis par ces jeunes dans leur environnement social.
            L’analyse proposée ici repose sur une enquête de type ethnographique menée dans une des plus anciennes cités hlm, au cœur d’un quartier de « banlieue rouge » en voie de transformation. Cette cité, rénovée au milieu des années 1980, est restée à dominante ouvrière dans sa composition sociale à la fin des années 1990. Les conditions politiques, économiques et sociales ne sont toutefois plus du tout les mêmes : ces jeunes, majoritairement enfants d’ouvriers et d’immigrés, ne peuvent devenir ouvriers et peinent aujourd’hui à être salariés. Ils connaissent des trajectoires hétérogènes en fonction de leurs parcours scolaires, de la nature de leurs pratiques religieuses, délinquantes ou sportives, ou bien encore en fonction de leur âge. La prise en compte de la complexité du lien social observé dans l’espace social de la cité nuance la vision habituelle, homogène et unilatérale, du « jeune de banlieue » et nous interroge sur le rapport que peuvent avoir ces jeunes avec les institutions suivant leurs parcours sociaux. Néanmoins, en dépit des différences constatées sur le terrain, on remarque un sentiment de destin commun autour d’un système de valeurs spécifiques, qui laisse transparaître une sorte de « théorie locale » de l’inégalité et des injustices qui serait partagée par l’ensemble des jeunes étudiés, quelles que soient leurs trajectoires.
            L’objet de cet article est donc de montrer la nature complexe des représentations de la société chez ces jeunes, d’une manière générale. Tout d’abord, nous présenterons l’enquête empirique qui montre les différences de pratiques culturelles entre ces jeunes dans l’espace résidentiel et permet de distinguer sept groupes qui investissent, chacun à leur manière, l’espace local de la cité. Puis nous tâcherons de préciser la nature des interactions entre ces groupes et les institutions, qui varie en fonction des pratiques sociales ou des attentes des jeunes. Enfin, nous essaierons de voir comment un sentiment de destin commun construit, malgré les différences de trajectoires et de pratiques culturelles constatées, une sorte de sentiment collectif d’injustice et d’inégalité.

Une enquête au cœur des mondes sociaux de la cité


            L’enquête ethnographique menée dans un ancien quartier de « banlieue rouge » sur les modes de vie d’une centaine de jeunes issus de l’immigration et enfants d’ouvriers m’a permis de recueillir la parole de ces jeunes stigmatisés par la société et de comprendre les motifs qui les conduisent parfois à évoquer une « théorie du complot ». Cette étude porte sur environ 115 jeunes qui habitent ou fréquentent l’espace résidentiel du quartier.
            Chercheur « indigène » – habitant les lieux et fils de locataire de cette ancienne cité ouvrière – j’ai été amené au cours de mon enquête à interroger des personnes souvent plus jeunes, parfois plus âgées, mais aussi à m’intéresser à des amis d’enfance, des « copains » avec qui j’ai passé une partie de ma jeunesse. Il a fallu m’armer contre cette connaissance intime de l’objet « jeunes de banlieues », et des stigmates et stéréotypes qui lui sont généralement associés, car celle-ci constitue un obstacle à la distanciation et à l’objectivation nécessaires à tout travail en sciences humaines. Néanmoins, l’apport incontestable de mon appartenance aux réseaux sociaux locaux a été l’accès aux « coulisses » dont parle Goffman, et donc la possibilité de participer à des discussions informelles entre jeunes, ce qui n’est pas un atout négligeable dans un espace social soumis à la méfiance des institutions et des « étrangers ». Cependant, il importe de souligner que ce travail d’enquête a été associé à l’usage systématique de procédures méthodologiques – entretiens directifs ou informels, observation participante et relevé de « discussions en situation » – dont chacune a été poussée au terme de sa logique. Les descriptions de situations d’interactions ont été facilitées par une position d’observateur non déclaré, mais aussi par la fréquence et la régularité de ma présence sur les lieux et par des stratégies de prises de notes discrètes et immédiates.
            La connaissance du terrain amène à parler des jeunes autrement, en sortant à la fois du piège d’une sociologie de la marginalité4 mais aussi des écueils du populisme et du misérabilisme. Plus précisément, elle est la condition d’une analyse de la culture des dominés ou des individus situés en « bas de l’échelle sociale » sous le signe de l’ambivalence, comme le préconisent Grignon et Passeron pour, à la fois, relever les éléments d’autonomie culturelle et appréhender les stratégies des acteurs dont les finalités peuvent diverger dans un même univers social5.
            Autrement dit – abordant un objet vis-à-vis duquel la neutralité faisait défaut en raison de l’image de ces jeunes – notre enquête devait, à partir d’un état de la question, formuler des hypothèses empiriques qui permettraient une déconstruction essentielle pour appréhender les enjeux, les intrigues et les tensions qui se jouent entre les acteurs que sont ici les « jeunes de cité ». Un peu à la manière de l’école de Chicago, nous sommes partis des faits observés en essayant d’élaborer un cadre d’analyse à l’aide d’une étude ethnographique dont la méthode s’apparente à la grounded theory6.
            L’essentiel de cet article est donc le résultat d’un travail d’observation associé à une soixantaine d’entretiens informels et analyses de conversation, à partir du recueil de discours en situation dans des lieux publics tels que les halls, le café du quartier, les bancs publics situés dans l’espace résidentiel, où je relançais au moment opportun les propos tenus en ma présence7. Des entretiens ont par ailleurs été réalisés à l’aide d’une grille de questions homogènes préparée au préalable. Ces interviews ont été la plupart du temps enregistrés dans l’espace résidentiel ou au domicile du jeune interrogé : il était important que celui-ci se sente à l’aise pour expliquer ses ressentiments et sa perception des choses8. Ces entretiens formels sont plus rares (25 environ) mais le développement des observations et analyses fondées permettent d’assigner une place très structurante aux situations d’interaction dont les figures sont autant de variations de relations entre groupes et sous-groupes de personnes.
            L’objectif était d’appréhender in situ le cadre d’expérience de ces jeunes à l’aide de la variable spatiale, pour mieux saisir la complexité de la nature des pratiques culturelles.Dans le cadre de notre hypothèse initiale et de la problématique formulée, qui consistaient à prendre acte de la nature des représentations sociales des jeunes vivant dans la cité au sein de leur espace résidentiel, nous ne pouvions dégager des significations de ce que nous avions obtenu comme informations. Nous avons été amené à retranscrire tels quels, pour cette enquête qualitative, les propos et observations recueillis9.

Des groupes de « jeunes » différenciés


            Une telle recherche soulève la question de la notion de jeunesse. La jeunesse est un concept sociologique complexe et sa définition fluctue en fonction des circonstances sociales et des conjonctures historiques ; elle s’avère être une notion à connotation plus biologique que sociologique puisqu’elle renvoie principalement à l’âge pour dessiner un cycle social autour de la dépendance financière, de l’attente définitive d’un contrat à durée indéterminée et d’un passage vers la mise en couple10.
            Ici, se pose le problème d’une certaine jeunesse, celle des « jeunes de cité » perçue souvent comme « jeunesse menace »11. La plupart des jeunes observés ici ont été socialisés dans un contexte de désindustrialisation et donc de mise à l’écart du marché du travail depuis plus de vingt ans. Cette situation évoque le concept de désaffiliation que nous ne développerons pas12 mais dont les composantes sociales, à savoir le rapport de nature conflictuelle entre ces jeunes et la société, nous semblent pertinentes à traiter ici.
            Dans cet espace résidentiel où l’interconnaissance est grande, nous avons été amené à observer, au cours d’un travail en immersion de neuf mois environ, la nature des pratiques spatiales de ces jeunes. Des groupes sont visibles dans la mesure où ils occupent l’espace résidentiel à des endroits différents (certains jeunes se regroupent dans les halls d’immeubles tandis que d’autres se donnent rendez-vous dans l’allée piétonne située au sud de la cité ou dans la rue localisée au nord), à des moments différents et pour des raisons distinctes. Une étude plus approfondie a montré en outre que ces regroupements étaient liés à des intérêts communs. En effet, les jeunes qui ont des parcours scolaires réussis ont tendance à se retrouver ensemble ; de même, les personnes qui pratiquent la religion musulmane de manière plus assidue ont également une propension à vivre ensemble ; enfin, les jeunes qui ont des pratiques que l’on pourrait qualifier de déviantes se rassemblent ailleurs dans l’espace résidentiel. Les différentes formes d’occupation résidentielle révèlent les particularités, en termes de parcours sociaux, de ceux qui les pratiquent, même si ces jeunes sont frères, cousins ou « copains de quartier ». Toute l’ambiguïté et la complexité des rapports sociaux qui existent entre ces jeunes a été développée dans un ouvrage paru récemment13 mais nous ne nous intéresserons ici qu’à la complexité des rapports entre les jeunes de cette cité et les institutions.

Les vétérans, des adultes entre 35 et 50 ans qui fréquentent l’espace résidentiel


            Les vétérans, leur dénomination en atteste, constituent une sorte d’entorse à la définition « classique » de la jeunesse puisqu’ils sont parfois âgés d’une cinquantaine d’années. Mais les personnes appartenant à ce groupe ont occupé l’espace de la cité durant les années 1970 en tant que jeunes et l’investissent encore de temps à autre. Ces vétérans ont connu le lent déclin du monde ouvrier local et sont les premiers à prendre leurs distances avec l’univers de l’usine. Ils sont les aînés des enfants des primo-migrants originaires d’Afrique du Nord et ont été en quelque sorte les premiers « jeunes de cité ». Ils ont été confrontés les premiers au chômage, au racisme mais aussi à la violence et à la délinquance qui caractérisent les cités populaires à l’heure actuelle. Ils s’apparentent dans une certaine mesure aux jeunes rencontrés par Dubet voici vingt ans en pleine période de délitement des « banlieues rouges »14.
            Donc, à l’époque, quand tu entrais dans une boîte, tu étais parrainé par un ancien qui te formait. Moi, le mien, c’était un vieux, il branlait rien, il s’occupait même pas de moi. Il était toujours à la cafète. Il arrivait toujours une heure après pour me gueuler dessus. Au bout de la quatrième fois, je lui dis « écoute vieux poivrot, tu vas commencer par fermer ta gueule ! » et je suis monté voir le chef du personnel… (M., 52 ans, célibataire, 1 enfant, aide-documentaliste.)
            Je m’en rappelle il nous a fait passer un petit examen pour être magasinier. Moi, comme j’avais le niveau bac, ça a été un jeu d’enfants. Le chef me convoque mais il commence à faire la gueule quand il voit ma tête d’Arabe […] Tu aurais vu jusqu’à sa retraite, il ne m’a jamais serré la main ! (S. 48 ans, marié, agent d’entretien.)
            Les vétérans (une dizaine de personnes au moment de l’enquête) ont vécu les métamorphoses du quartier, le délabrement de l’ancienne cité ouvrière, et ils ont subi les effets sociaux de la crise dans les années 1980. Ces adultesconnaissent des situations familiales ou professionnelles diverses mais ils se sont progressivement regroupés avec le temps et les expériences. Ce vécu commun est structuré autour du décès d’un quart d’entre eux, dans des conditions tragiques, au début des années 1990, en raison de parcours réalisés dans la grande délinquance et la consommation de produits stupéfiants15. Il est également marqué par la déception à l’encontre d’un militantisme proche du parti communiste ou de « la marche des beurs » durant les années 198016. Les vétérans constituent en quelque sorte la « génération relais » entre les adultes ouvriers et immigrés, proche de la retraite ou en retraite, et la dernière génération ouvrière du lieu : les « jeunes de cité ». Ainsi, la sociabilité des vétérans se manifeste aujourd’hui notamment à travers la passion du football qui les réunit encore chaque week-end à l’occasion des matchs de l’équipe municipale et des retransmissions de rencontres télévisées.

La classe d’âge des trentenaires
Les galériens : entre pratiques « déviantes » et insertion professionnelle


            Les galériens se caractérisent par leur occupation quotidienne de l’espace nord de la cité, qui donne sur la rue principale : leur présence dans l’espace résidentiel est beaucoup plus régulière et intensive que celle des vétérans qui fréquentent le même endroit ; elle est perceptible dès la fin de la matinée jusqu’aux alentours de deux heures du matin. Après avoir connu une période de « galère » et de désœuvrement au plus fort de la crise au début des années 1990, les galériens profitent de la reprise économique17 pour s’insérer dans le monde du travail – les plus dotés en capital scolaire du moins – alors que les plus « délinquants » d’entre eux restent confrontés aux mêmes difficultés et se rapprochent progressivement des classes d’âges plus jeunes que sont les jeunes délinquants18. Le groupe des galériens apparaît encore comme structuré dans l’espace résidentiel par une forme d’exclusion économique et sociale du début des années 1990, des rapports conflictuels et méfiants avec les éducateurs et les animateurs, la prise en compte des décès des jeunes de la génération précédente (les vétérans) et, enfin, l’expérience douloureuse de la première guerre du Golfe :
            Ils nous fouillaient dans leur fourgon avec leur famas comme si qu’on était des espions de Saddam Hussein. Laisse tomber, quand j’y repense c’est de la folie ! (C., 29 ans, célibataire, manutentionnaire, délégué syndical.)
            Les jeunes qui forment ce groupe dans l’espace résidentiel connaissent des situations différentes en prenant de l’âge. De ce fait, on assiste depuis la fin des années 1990 à une dissolution progressive de ce groupe que j’ai nommé galériens en raison de leur entrée tardive dans la vie sociale et professionnelle.

Les musulmans pratiquants : des jeunes à la recherche d’autres valeurs


            Ce troisième groupe marque une rupture significative dans la pratique spatiale et dans les modes de sociabilité. Ces musulmans pratiquants, une dizaine de jeunes, fréquentent l’espace sud, lieu où se trouvent actuellement l’allée piétonne et les deux mosquées. Avoisinant la trentaine comme les galériens, ils ont en partie été confrontés aux mêmes problèmes. Néanmoins, les musulmans pratiquants ont suivi, pour deux tiers d’entre eux, des études supérieures dans des disciplines scientifiques et ont orienté leur mode d’existence autour d’une pratique assidue de la religion musulmane : ces jeunes respectent et exercent les cinq piliers de l’islam19. Ils se fréquentent et investissent l’espace local en fonction des horaires de prières et forment ainsi un groupe soudé autour de la pratique religieuse – un hexis corporel et vestimentaire spécifique : barbe, khamis et attitude plus posée et retenue que les autres jeunes de la cité – et des rapports très distants vis-à-vis des associations de quartier. À la suite de la première guerre du Golfe et des attentats de 1995 à Paris, les musulmans pratiquants du quartier vont être confrontés directement aux services de la dst :
            Quand tu as affaire à eux, je peux te dire que tu te mets à flipper quand ils t’interrogent au sous-sol du ministère de l’Intérieur ! De toute façon, tous les frères de la cité sont fichés et ça en cas de guerre, c’est chaud pour nous ! (I., 30 ans, dess en chimie, marié, un enfant, sans profession.)
            Les musulmans pratiquants forment un groupe spécifique dans cet espace résidentiel et social puisqu’ils vivent, se réunissent autour de la pratique de l’islam et se fédèrent à travers un sentiment de persécution générale. Ces jeunes, du fait de leurs pratiques religieuses, se sentent constamment épiés et observés par les pouvoirs publics en raison de la menace terroriste qu’ils semblent représenter auprès des institutions.
 
Les invisibles : échapper à la condition ouvrière


            Les invisibles approchent également les trente ans. Ils sont une dizaine et ne forment pas au final un groupe au sens classique du terme, mais plutôt un ensemble de jeunes qui ne fréquentent pas l’espace résidentiel de manière régulière : les invisibles sont absents des rapports sociaux locaux qui existent entre les autres jeunes de la cité. Ils ne sont « visibles » localement que lorsqu’ils se rendent à l’école ou au travail. À l’instar des musulmans pratiquants, beaucoup de ces jeunes ont réalisé des études supérieures ; un tiers d’entre eux ont d’ailleurs effectué des études en troisième cycle ou dans des grandes écoles, et les autres se sont insérés dans le monde du travail avec succès : les invisibles se distancient des critères médiatiques de « jeunes de cité ». Quelles que soient les origines familiales (de France, d’Algérie, du Maroc, d’Espagne, de Tunisie, du Portugal), les invisibles veulent échapper à la condition sociale ouvrière du père et surtout à l’univers des cités :
            Franchement avec du recul je viens des bas-fonds. Avec le trafic de drogue, les mecs qu’ont mal tourné et parfois des copains de primaire, il faut s’en sortir ! (J., 29 ans, dess, manager, marié.)
            Qu’est-ce qu’on pouvait devenir ? On n’allait pas rester esclaves comme nos parents ! (A., 32 ans, dess en ressources humaines, consultant en entreprise, 1 enfant.)
            À ce titre, les qualifications scolaires et la prise de distance avec le milieu d’origine sont les atouts des invisibles pour sortir de l’univers populaire et ouvrier, un monde qu’ils perçoivent comme néfaste pour s’en sortir dans la société.

Les jeunes adultes : de 20 à 24 ans
Les conformistes : entre études supérieures courtes, « petits jobs » et consommation ostentatoire


            Le groupe des conformistes est composé de jeunes dont la moyenne d’âge est de 22 ans, soit 7 ans de moins que ceux des groupes précédents. Il se caractérise par la forte prédominance de jeunes originaires de familles marocaines et en particulier de la région d’Agadir20. Ces conformistes investissent l’espace sud en fonction de leur emploi du temps scolaire ou de leurs horaires de travail : certains n’ont pas encore achevé leur scolarité (études supérieures courtes) et la plupart d’entre eux ont, en parallèle, un travail à mi-temps. Ces derniers poursuivent des études en bts ou en dut afin d’obtenir un travail qu’ils estiment « correct », après des études jugées concrètes permettant d’affronter rapidement le marché du travail et de s’épargner ainsi des études longues et coûteuses. Ils ont des rapports de cousinage ou de voisinage dans le pays d’origine des parents, ce qui crée des rapports sociaux très intenses21. Ils se comportent comme de véritables jeunes au sens littéral du terme puisqu’ils sortent beaucoup – « soirées branchées » chez les « petits bourgeois » comme ils le précisent eux-mêmes – et participent entre eux à une course à la consommation (voitures récentes – polos ou golfs –, téléphone portable sophistiqué) tout en assumant leurs conditions de précarité. À la différence de leurs aînés, les conformistes n’ont pas connu la période de « galère » et ont un rapport plus instrumental qu’eux avec les institutions, ayant bénéficié plus tôt de la reprise économique de la fin des années 1990.

Les jeunes délinquants : entre trafic de cannabis, recels et missions en intérim


            Appartenant à la même classe d’âge que les conformistes, les jeunes délinquants s’en distinguent par leurs pratiques de sociabilité. Dans sa majorité, ce groupe est issu de parents originaires d’Algérie et plus précisément de la petite Kabylie. Ces jeunes, investissent l’espace intérieur de la cité à savoir la cour – l’espace central de la cité et les halls d’immeubles notamment – pour se protéger du regard de la police. Ils se distinguent des conformistes par leurs tenues vestimentaires, leurs comportements plus « racaille » – hexis corporel plus viril, tenues vestimentaires proches du rappeur – et surtout un fort échec scolaire. Les jeunes délinquants se distinguent également des galériens par leur présence en bande dans l’espace résidentiel, même s’ils participent aussi au trafic de cannabis ; de plus, à la différence de leurs aînés qui utilisent l’espace résidentiel comme support territorial du lien social, ils appréhendent surtout cet espace comme une « zone » commerciale pour le « business » : ilsse déplacent d’un quartier à l’autre, font venir des jeunes d’autres cités, rendant plus « flexible » et accessible l’espace résidentiel aux non-résidents, ce qui est très mal vu des délinquants plus âgés de la cité :
            Faut faire du fric ! C’est tout ! Les grands [i.e. les galériens], ils nous cassent la tête. Pour eux, le quartier c’est tout ! Nous on s’en bat les couilles, le jour où je me fais mon oseille je me tire ! (K., 23 ans, sans emploi et sans diplôme.)
            Ces jeunes délinquants, épargnés par la période difficile du début des années 1990, ont malgré tout des rapports très difficiles avec les institutions en général.

Les adolescents qui ont atteint la majorité juridique
Les post-adolescents : des jeunes adultes à la croisée des chemins


            Les post-adolescents constituent le dernier groupe de cette typologie locale. Ces jeunes, une vingtaine environ, sont arrivés récemment dans l’espace résidentiel puisqu’ils ont atteint la majorité juridique qui signifie ici une plus grande « autonomie » vis-à-vis des parents et des frères aînés. À l’époque de l’enquête, cette position de « cadet » leur confère encore un statut de dominés dans l’espace résidentiel.Mi-lycéens, mi-voleurs, mi-vacataires dans des emplois précaires, les post-adolescents sont par conséquent des adeptes du « système d » qui s’adaptent en fonction des circonstances et des conjonctures. Leurs occupations quotidiennes souvent imprévisibles et « spontanées », sont révélatrices de stratégies opportunistes : consommation ostentatoire, conjugaison de plusieurs activités parfois contradictoires et adaptation à la conjoncture.
            Moi, je m’en fous. On verra, on s’en tape. De toute façon, l’école ça sert à rien et fumer du shit non plus ! Ben bon on verra bien ! (S., 19 ans, étudiant en bep.)
            Les post-adolescents, plus importants en nombre que les autres de par leur âge, constituent un groupe en voie d’éclatement en raison d’une distance de plus en plus grande entre les « sérieux » – qui sont en course pour un bac général et des études supérieures – et ceux qui sont en passe d’entrer dans une phase de délinquance ou d’oisiveté. Ces derniers, connaissent des rapports très conflictuels avec les forces de l’ordre au grand désespoir de leurs aînés – les jeunes délinquants et les galériens – qui souhaitent voir leur quartier épargné par les interventions policières, pour la tranquillité du trafic local de cannabis notamment.

Les jeunes, les institutions d’encadrement et la politique


            Les propos qui vont suivre ont été recueillis de manière informelle dans la cité auprès des jeunes qui se livrent donc plus facilement que d’ordinaire, surtout à un autre jeune que je suis. Le contenu peut parfois choquer mais il est sans aucun doute révélateur d’un état d’esprit et d’une vision politique, même si les trajectoires des interviewés diffèrent selon la nature des pratiques religieuses ou les parcours scolaires.

Des méthodes policières jugées brutales par les plus jeunes et les « délinquants »


            La cité étudiée n’est pas à proprement parler une cité où règnent violence et grande délinquance, ou en proie aux « émeutes urbaines »22. La police y est toutefois mal perçue par l’ensemble de ces jeunes quels que soient l’âge ou la situation sociale. En outre, certains groupes de jeunes de la cité, de par leurs activités ou la nature « déviante » aux yeux de la loi de leurs pratiques culturelles, sont en situation de confrontation directe avec les forces de l’ordre. Pour les « délinquants » d’une manière générale – quelques galériens, jeunes délinquants et une partie des post-adolescents – la police représente l’institution répressive qui les empêche de « faire de l’argent ».
            Vas-y c’est des fils de pute, ils nous cassent les couilles ! Ils cassent le business ! (K., 23 ans, jeune délinquant, sans travail et sans diplôme.)
            Ils nous cassent les pieds à nous ! Mais aux autres, ceux qui détournent des milliards ils leur font rien ! C’est n’importe quoi ! (R., 28 ans, galérien, intérimaire, sans diplôme.)
            Les « délinquants » de la cité pensent que la police représente une entrave pour leur trafic de cannabis alors qu’elle ferme les yeux sur le trafic et la corruption des « puissants ». C’est pourquoi, se sentant dominés, ils se montrent discrets dans l’espace local de la cité pour ne pas avoir affaire à la police.
            Pour les post-adolescents, la police est appréhendée comme une institution violente et raciste et ils n’hésitent pas à provoquer notamment la bac quand l’occasion se présente :
            Quand ils viennent au quartier et qu’ils tournent en voiture, on les insulte derrière les buissons ou on leur jette des pommes de terre […] Des fois ils nous cavalent et ils font des rondes toute la journée pour nous retrouver. (S., 18 ans, post-adolescent, étudiant en bep.)
            Franchement, ils feraient mieux de contrôler les politiciens ou même leurs collègues commissaires. Ils en croquent tous ! (M., 30 ans, galérien, intérimaire en manutention.)
            Ce type de propos montre que la police n’est guère appréciée par la population juvénile locale, même si les motifs sont parfois différents selon les classes d’âge.

Une surveillance continue des RG, dénoncée par les musulmans pratiquants


            Suite aux attentats de 1995, les services de la dst ont effectué des arrestations massives de jeunes fréquentant les mosquées du quartier. Un musulman proche du mouvement salafis23 est arrêté en 1996. Ce jeune, âgé de 26 ans à l’époque, conciliant l’image de l’étudiant sérieux – en troisième cycle en chimie à l’université René Descartes –, du « bon musulman », du sportif passionné de football et du jeune homme « sans histoire », se retrouve sous les feux de la rampe médiatique.
            Ils sont venus chez moi à cinq heures du matin ! Ça rigolait pas ! Les interrogatoires, leur allusion à mon éventuelle participation aux attentats… Tout est fait pour te déstabiliser surtout au 2e ou 3e sous-sol du ministère de l’Intérieur. (I., 30 ans, musulman pratiquant, dess en chimie, sans profession, marié, 1 enfant.)
            À la suite de cet événement, les musulmans pratiquants de la cité éprouvent une certaine injustice et se sentent trahis par la conjoncture politique puisqu’ils se retrouvent désignés comme les nouveaux ennemis de l’État, voire de l’Occident. Dès lors, un sentiment collectif de « persécution » envahit les jeunes de ce groupe :
            Les musulmans ici sont perçus comme les nouveaux ennemis. Déjà, la religion en général est mal vue mais l’islam c’est ce qu’il y a de pire ! (J., 28 ans, musulman pratiquant, bts en plasturgie, intérimaire, marié, 1 enfant.)
Le commissaire de la dst m’a dit lors d’un interrogatoire, « on préfère des dealers à des gens comme vous ! » (I., 30 ans, musulman pratiquant, dess en chimie, sans profession, marié, 1 enfant.)
            Aussi, les musulmans pratiquants vont se distancier des autres groupes de jeunes de la cité pour leur éviter d’être vus avec un « barbu ».

L’éducateur spécialisé vu par les galériens : entre profit personnel et espionnage


            Pour les plus âgés, les galériens essentiellement24, la présence d’éducateurs de l’association de prévention du quartier, structure mise en place dans le secteur au début des années 1990 et dirigée par les élus locaux, est très mal vue.
            Je sais pas, ils sont arrivés comme ça… ils ont sympathisé vite fait avec nous. Mais nous dans ce quartier on est méfiant ! Et quand ils ont commencé à poser des questions bizarres sur les mecs tout ça, on s’est éloigné d’eux ! (C., 31 ans, galérien, bagagiste dans une société de transport, marié.)
            Pour ce jeune,l’éducateur est un espion chargé de les observer. Curieusement, ces jeunes se perçoivent comme cobayes d’un « système » politique et social qui peine à les accepter. Ce point de vue est corroboré par un autre jeune du même groupe :
            J’ai failli travailler avec eux y a longtemps. On devait partir en camp avec des jeunes du quartier, on était plus d’animateurs que de jeunes, j’ai trouvé ça bizarre ! Le soir, on devait faire des rapports psychologiques et tout ça sur les enfants et les ados… J’ai refusé ! (D., 28 ans, galérien, chauffeur/transporteur, délégué du personnel fo, célibataire.)
            L’association de prévention du quartier est appréhendée par les jeunes de cette tranche d’âge comme un bureau d’information, sorte de succursale des rg faisant remonter les informations vers la municipalité, voire l’État.
            Les interactions en ma présence avec les éducateurs sont assez éloquentes. Ces derniers se rendent dans l’espace résidentiel à quatre ou cinq. Lorsque les jeunes les aperçoivent, ils ont deux attitudes : soit ils quittent l’espace où ils sont, afin de les éviter (« Putain, ils ne peuvent pas nous laisser tranquilles… ils viennent faire leur ronde pour taper leur rapport et l’envoyer au commissariat… je me casse ! »), soit ils taquinent les travailleurs sociaux lorsque ceux-ci arrivent à leur hauteur (« Alors… on est venu goûter le teu-chi25 ? », ou encore : « C’est du black Bombay, vous pourrez le mettre dans votre rapport ; de toute façon, même vous, vous en fumez dans vos locaux ! »).
            Ce type de rapports en dit long sur la nature des relations entre ces jeunes et les éducateurs. Seuls les jeunes en réelles difficultés (problèmes d’argents, d’hébergement ou issus de familles monoparentales) ont noué des rapports de confiance avec les travailleurs sociaux. Mais ces jeunes – en grande difficulté (je fais allusion ici surtout à la cellule familiale) – sont très peu nombreux dans la cité et les jeunes de la cité, dans leur ensemble, voient la présence des éducateurs comme une intrusion d’agents de l’État, pratiquement au même titre que la police.

Les invisibles confrontés au racisme institutionnel et à la discrimination


            Pour les jeunes de cette cité qui ont réussi scolairement et professionnellement, avoir un nom à consonance étrangère et « venir de la cité » n’est pas chose aisée pour gravir les étapes de « l’ascenseur social », notamment pour ceux issus de familles originaires du Maghreb26. L’exemple de ce jeune issu d’une famille d’origine antillaise – titulaire d’un « bac + 5 » aujourd’hui – est éloquent tant son parcours a été semé d’embûches :
            Tout d’abord après ma maîtrise d’économie, on m’a fait comprendre que les dess concernant le monde des finances et des banques n’étaient pas pour moi ! À l’entretien, les questions étaient beaucoup plus dures que les autres. Je le savais puisque des copains blancs avec qui j’avais fait mes études à la fac ne rencontraient pas les mêmes difficultés […] Et puis à la fin des entretiens, on me faisait comprendre qu’un black à la banque c’était vraiment pas possible ! (X., 31 ans, invisible, manager, marié.)
            Ce jeune a terminé ses études aux Antilles et a obtenu un emploi de banquier en Martinique. Sa couleur de peau semblait faire obstacle à la carrière qu’il envisageait dans le tertiaire. Pour les jeunes issus de l’immigration maghrébine, on l’a vu, le constat est encore plus alarmant27 :
            J’avais un super niveau. J’ai eu le bac s avec mention. Mais j’ai pas pu entrer dans une école d’ingénieur. On m’a fait comprendre que la fac de Paris VIII c’est bien pour moi ! Les grandes écoles c’est pour les blancs et surtout pour les bourges ! (M., 27 ans, dess en informatique, ingénieur réseaux, célibataire.)
            Les jeunes ayant réussi à changer de milieu social et quitter le monde ouvrier en réalisant de bonnes études ont, paradoxalement, un profond sentiment d’injustice ; sentiment d’autant plus amer que la quête de promotion sociale est forte. Pour ces jeunes étudiants ou salariés « brillants », l’inégalité est d’autant plus ressentie lorsqu’ils comparent leur parcours et leur cursus à ceux des « autres » – des « blancs », des « Français » depuis plusieurs générations, pourtant loin d’appartenir aux « héritiers » décrits par Bourdieu et Passeron à la fin des années 196028 – qui ont rencontré, selon eux, moins de difficultés pour gravir les étapes scolaires et sociales.

Le RMI et les institutions d’insertion, paravent d’un système de tromperie pour les vétérans et les galériens


            Les jeunes de la cité qui bénéficient des dispositifs d’insertion professionnelle ne peuvent s’autoriser un affrontement direct avec un conseiller d’insertion, sous peine de voir leur allocation suspendue. Conscients de cette situation, jeunes et moins jeunes du quartier mettent en place des stratégies pour contourner le règlement : faire appel au médecin de famille pour obtenir un arrêt-maladie ; se faire tout simplement oublier des services ; ou encore, réclamer ses « droits » de manière vindicative pour impressionner le personnel et gagner ainsi du temps :
            Moi, je les connais bien. Tous leurs trucs c’est du pipeau. Il faut constamment jouer avec eux. Moi, je passe mon temps à leur prendre la tête. De toute façon, du vrai boulot y en a pas ! Des corvées de chiens si ! (A., 37 ans, vétéran, baccalauréat, intérimaire, célibataire.)
            Dans le témoignage suivant, le regard d’un jeune qui vient de perdre son emploi dans le monde de la publicité et se trouve confronté à ce type d’institution est encore plus critique :
            Quand j’ai été reçu par ma conseillère et que j’avais pas de diplôme, j’ai compris où elle voulait m’emmener. Moi, j’ai travaillé en vidéo donc je lui demande un stage dans mon domaine. Elle, elle me fait comprendre que j’irai là où il y a de la place. Je me suis dit elle veut que je dégage les statistiques du chômage. Elle m’a pas mal fliqué mais maintenant je lui mets des arrêts-maladies dans sa face ! Elle peut rien dire ! (Y., 29 ans, galérien, sans profession, sans diplôme, célibataire.)
            Pour les jeunes de cette cité bénéficiaires du rmi, les rapports avec l’institution qui gère leur insertion professionnelle se traduisent par des conflits avec les conseillers, même si le rapport de force penche pour l’institution.
Nous avons vu que, selon le parcours et les attentes des jeunes, ces derniers sont en interaction avec des institutions différentes. Le jeune chômeur est souvent confronté aux exigences de l’anpe, le diplômé du supérieur subit plus fortement la discrimination, tandis que le jeune qui investit fréquemment l’espace résidentiel pour s’adonner à un trafic de cannabis se trouve en conflit avec la police. Cela étant, on note, malgré la pluralité des trajectoires, des rapports difficiles avec les institutions et les agents de l’État, d’une manière générale, quels que soient les parcours de ces jeunes.

Un sentiment général d’injustice diffus


            Les jeunes de la cité observée, malgré les trajectoires différentes qui génèrent groupes et expériences spécifiques, ont également une histoire commune marquée par l’histoire ouvrière locale, un passé migratoire et une jeunesse vécue dans le même espace géographique. Cette histoire commune les a confrontés aux grands organismes et institutions que sont la police, la municipalité, l’État au sens large, les médias, ou encore les travailleurs sociaux ou l’école.
            Par ailleurs, cette ancienne cité ouvrière rénovée au milieu des années 1980 a connu de nombreuses transformations qui ont bouleversé les modes de vie de sa population. Ces mutations peuvent être résumées en six étapes qui ont, dans une certaine mesure, façonné le rapport au monde de ces jeunes, et ce contexte de l’histoire locale et des transformations du monde est déterminant dans leur construction identitaire : au cours des années 1970 et 1980, une dizaine de jeunes de la cité étudiée sont fichés au grand banditisme, ce qui explique les rapports tendus et conflictuels avec la police ; au début des années 1980, suite à la mise en place de l’opération dsq, le quartier connaît un important développement d’associations et d’institutions chargées de s’occuper de la jeunesse, mais le tissu associatif s’essouffle à la fin des années 1980, en raison de détournements politiques ou de malversations individuelles ; avec la première guerre du Golfe (1990/1991), on assiste à la construction de l’image médiatique et policière des « jeunes issus de l’immigration » comme alliés objectifs de Saddam Hussein ; des « barbus » sont arrêtés dans le quartier en 1995 ; la transformation urbanistique ainsi que la rénovation de la cité remettent en cause la présence de ces jeunes dans le quartier qui les a vus naître et grandir. Ceux-ci perdent les repères territoriaux passés29 (traces physiques de l’espace ouvrier) et ne peuvent se projeter dans l’avenir (arrivée des activités tertiaires et de bureau) ; l’augmentation des loyers et des impôts locaux fait suite à la rénovation de la cité, mais aussi aux nombreuses restructurations du quartier qui ont endetté la commune.
            Ces mutations n’ont guère été favorables aux jeunes, dont la mémoire est par ailleurs meurtrie par certains des faits mentionnés ci-dessus, particulièrement difficiles pour eux, par les décès des « grands frères » et par d’autres épisodes douloureux. On pourrait ajouter à ce tableau d’une situation locale sinistrée le contexte politique et médiatique qui stigmatise chaque jour ces mêmes jeunes. En outre, les institutions leur renvoient souvent une image négative d’eux-mêmes, qu’ils soient diplômés ou non, et ce miroir social qui les défavorise en même temps qu’il les blâme, construit et structure leur regard sur le monde et sur la société en général, regard encore aggravé par une déception à l’égard du monde politique qui semble toucher l’ensemble des classes populaires, voire des classes moyennes.
            De même que pour la seconde partie, les propos présentés ci-après ont été recueillis dans les cages d’escaliers, sur des bancs publics ou dans le café du quartier.

Les jeunes et la municipalité

            Le parti communiste est arrivé au pouvoir dans cette commune en 1935 et ne l’a pas quitté depuis. Les « grandes heures » du mouvement ouvrier et le déclin des « banlieues rouges » ont remis en cause le système politique et social local. Depuis, la municipalité a été obligée de faire face avec ses seuls moyens. Les changements dans ses programmes politiques, conséquences des transformations économiques et sociales récentes – désindustrialisation, volonté de « mixité sociale », revalorisation de l’image de la commune – ont été compris par les enfants d’ouvriers et d’immigrés de cette cité comme une sorte de trahison. Ainsi, un militant associatif âgé de 37 ans, ancien membre du parti, se montre déçu et surtout désabusé face à la politique menée actuellement par le parti communiste :
            Honnêtement, c’est pas pour dire mais ils se sont bien foutus de notre gueule. Quand je vois que dans les postes clés il y a des gens qui en ont rien à foutre alors que nous les mecs de terrain on n’a rien. C’est scandaleux ! (A., 37 ans, vétéran, travailleur social, marié, 2 enfants.)
            Ce constat pour le moins amer est partagé par un autre militant plus jeune :
            À 16 ans, j’ai pris ma carte du parti… Quand je vois qu’ils nous ont transformé notre quartier, isolés sans commerce de proximité, sans demander notre avis ! C’est ça la démocratie, c’est ça la gauche ! Je leur ai rendu ma carte et j’ai pris mes distances avec eux. (C., 29 ans, galérien, aujourd’hui manutentionnaire et délégué syndical.)
            Pour ces enfants d’ouvriers, le virage pris par le parti communiste laisse perplexe et déclenche parfois des réactions d’hostilité et de colère :
            S’il faut changer de bord on changera ! C’est plus qu’une trahison. Aujourd’hui, ce qui compte c’est faire venir les classes moyennes et se débarrasser des vieilles familles ouvrières et des immigrés indésirables. Paris s’agrandit mais c’est pas une raison ! (A., 28 ans, invisible, étudiant en droit, célibataire.)
            Quelles que soient les trajectoires sociales, le passé ouvrier familial fait ressurgir un sentiment de trahison perceptible à l’échelle de la cité mais aussi au niveau de la ville, comme le montrent très bien les travaux d’un sociologue concernant un autre quartier de la commune30. Le parti communiste a déçu ces jeunes qui se sentent floués et trahis puisqu’ils identifient à l’échelle de l’échiquier politique le parti local à celui du parti ouvrier. La référence aux logiques économiques est absente des propos de ces jeunes, ce qui laisse entendre que, pour eux, le politique peut tout résoudre.

L’État vu par les jeunes

            Pour les « jeunes de cité », l’État semble jouer un rôle primordial dans les destinées individuelles et dans la construction de leurs malheurs. Ici, l’État au sens large, se confond avec l’homme politique au pouvoir qui tire les « ficelles » à la fois des institutions mais aussi des « pauvres gens » : les politiciens sont perçus comme étant sans scrupules et ayant le droit de faire des « affaires »31 comme ils l’entendent puisqu’ils ont fait les lois à leur avantage.
            Ça fait des années qu’ils arnaquent les gens ! Ils se font de l’oseille et personne dit rien ! Ils ont raison dans le fond ! (H., 23 ans, conformiste, étudiant en bts, célibataire.)
            C’est des ordures ! Nous, ils nous empêchent de faire ce qu’on veut. Ils nous mettent en tôle pour 3 grammes alors qu’eux ils détournent des milliards et des milliards et on leur dit rien ! C’est quoi ce système ! (K., 22 ans, jeune délinquant, sans profession et sans diplôme.)
            Pour les plus âgés, les hommes politiques sont associés aux francs-maçons et aux autres pouvoirs dits « occultes » : le discours politique est appréhendé ici comme domination et manipulation pour « contrôler » les Français en général et les ouvriers en particulier. Les plus vieux n’hésitent pas à invoquer la « théorie du complot » pour justifier leur mise à l’écart :
            Les gens ils dorment. Mais t’inquiète pas, y en a qui pensent pour eux ! Ils ont tout le pouvoir avec eux ! Et si tu te rebelles, il peut t’arriver des ennuis ! Des disparitions, des mises à l’amende. Mais nous on a compris leur manège ! (J. 30 ans, galérien, employé, célibataire.)
            Le système, c’est une mascarade. Les politiciens, ils mentent aux gens. Le système est vicié. Pour faire passer des lois, détourner du fric, organiser des guerres, des famines, ils savent s’organiser mais nous on survit à notre niveau. (L., 46 ans, vétéran, comptable, célibataire.)
            On sait très bien qu’on n’est pas en démocratie ! Tous ça c’est des subterfuges, c’est les sociétés secrètes qui font la pluie et le beau temps. Ce qu’ils nous montrent à la télé ce n’est pas vrai. Les grands de ce monde, ils se réunissent entre eux qu’ils soient politiciens, grands patrons, avocats riches ou intellectuels corrompus et c’est ça que nous on a compris dans les quartiers. (L., 28 ans, invisible, étudiant en thèse de droit à Nanterre.)
            Ainsi, l’État se confond avec l’homme politique qui, par association d’idées, est identifié aux hautes sphères financières et aux loges maçonniques. La « théorie du complot »est donc bien présente chez les personnes interrogées. Les métamorphoses d’un monde qui n’est pas vraiment favorable à la présence de ces jeunes sur le sol français les incitent à se poser des questions sur les tournures d’événements politiques qui leur échappent. C’est ce qui explique la perception locale de l’État et de ses institutions politiques – le « système », comme le précisent les jeunes interrogés – qui se révèlent alors comme une machine implacable qui contrôle leur existence. Cette vision de l’État ne peut être opérationnelle qu’avec l’aide des médias et en particulier de la télévision, principal support, selon eux, de la « propagande ».

Le rôle essentiel de la télévision, moyen de propagande


            La grande majorité des jeunes de cette cité a des propos critiques à l’égard de la télévision. Un des thèmes fréquents concerne le contenu même des programmes télévisés. Pour les plus jeunes comme les post-adolescents ou bien les jeunes délinquants, les reportages chocs de tf 1 suscitent réactions virulentes et émois :
            Comme par hasard, dans les reportages, on te montre toujours un Arabe qui vole et qui sait pas parler ! (R. 24 ans, jeune délinquant, sans profession, sans diplôme.)
            Il faut dire la vérité ! On te montre toujours un Arabe qui est un kamikaze et qui pointe sa mitrailleuse en l’air. C’est normal qu’on passe pour des oufs ! (J., 23 ans, conformiste, étudiant, célibataire.)
            Les plus âgés portent un jugement sans appel sur le contenu télévisuel. Ces jeunes cherchent à déceler les vérités cachées en essayant de démasquer le réel dans ce qu’ils estiment être une supercherie :
            Attends, l’ennemi numéro un, c’est l’islam. Face aux valeurs de dépravation produites par la télévision qui montre du sexe toute la journée, nous les musulmans il faut nous attaquer sans arrêt, sans répit. Mais ils n’y arriveront pas ! (F., 31 ans, musulman pratiquant, ingénieur en informatique, marié, 2 enfants.)
            Le plus marrant pour moi c’est le 11 septembre ! Ils ont retrouvé un passeport alors que tout s’est effondré et a brûlé à 3 000 degrés. Une heure après ils savaient que c’était Ben Laden… (A., 42 ans, vétéran, transporteur, marié, 2 enfants.)
            Ils peuvent prendre les beaufs pour des cons mais pas nous ! Le journal télévisé c’est la plus belle fabrique du mensonge. De toutes façons pour faire passer leurs intérêts, ils sont prêts à tout ! (C., 29 ans, galérien, manutentionnaire, délégué syndical.)
            Le cynisme et le ressentiment sont également ancrés chez les jeunes de la cité qui ont fait des études supérieures. Ces jeunes suivent des émissions « intellos » sur Arte ou sur les chaînes publiques comme Culture et dépendances, Campus, Riposte ou encore C dans l’air et sont surpris par le sort qui leur est réservé dans ce type d’émission :
            Quand je vois certains penseurs venir déclarer que quand on est enfant d’immigré musulman, qu’on habite la cité et ben on est automatiquement antisémite ! (M., 30 ans, invisible, ingénieur, marié, 1 enfant.)
            La présence d’intellectuels médiatiques (même parmi ceux qui font parfois des dérapages) interroge nombre de ces jeunes assidus aux émissions littéraires :
            Je ne peux plus le saquer le faux philosophe à moitié dingue là […] C’est un facho et ils le font passer pour un mec normal. C’est te dire comment les médias sont complices […] Des fois ils sont quatre sur Tarik Ramadan pendant toute l’émission. C’est de la persécution pour moi ! (D., 32 ans, invisible, a abandonné en maîtrise de philosophie suite à une dépression nerveuse, célibataire, vit toujours chez ses parents.)
            Pour résumer ces propos, la réception des programmes de télévision s’avère problématique pour la plupart de ces jeunes. Même pour ceux qui travaillent et qui ne la regardent plus parce qu’ils s’estiment stigmatisés dans les médias, la télévision est toujours présente dans leur quotidien, qu’ils le veuillent ou non :
            De qui se moque-t-on ? La télévision m’écœure. On te montre un Arabe fanatique dans les pays du Golfe ou un Maghrébin des banlieues sauvageon. Ça suffit ! Je n’ai plus de télé chez moi ! Mais maintenant c’est mes collègues qui me posent des questions quand il y a un attentat en Irak ou en Palestine […] Ça devient pesant à force ! (K., 31 ans, galérien, salarié, célibataire.)
Pour ce jeune, issu de l’immigration maghrébine, qui a réussi et n’est pas un « militant de l’islam », la stigmatisation constante de son identité le met toujours mal à l’aise face aux « autres » et il doit souvent se justifier sur son lieu de travail à propos d’un événement survenu dans le monde arabe ou dans une banlieue32.
            Pour bon nombre de jeunes, la télévision qui fascine et passionne à bien des égards, est paradoxalement appréhendée comme un repoussoir puisqu’elle les met davantage en porte-à-faux vis-à-vis de la société : les médias montrent ces jeunes souvent à leur désavantage, renforçant ainsi chez eux un sentiment de persécution. D’une manière générale, les jeunes de cette cité se sentent continuellement observés et stigmatisés au travail, à l’école, à la télévision et dans leurs modes de vie en général. C’est pourquoi le terme d’« insécurité » prend un autre sens pour eux : l’impression de se sentir menacé continuellement par les institutions d’encadrement (la police, les associations de quartier) ou de communication – la télévision notamment – perçues comme souvent hostiles à leur encontre.

Humiliation des pères, revanche des fils

            Pour conclure sur le thème des injustices, sentiment collectif que ces jeunes véhiculent, l’appartenance à l’origine maghrébine comme au monde ouvrier en voie de délitement, et le poids difficile d’un passé colonial et surtout post-colonial – la venue du père dans les années 1950 et 1960 dans les bidonvilles – ne semblent toujours pas véritablement « digérés »33. Interrogés sur leur situation, ils rappellent à un moment ou à un autre le sort humiliant réservé à leur père voici trente ans :
            Moi, je suis plus âgé que vous, et j’ai connu les bidonvilles de Nanterre. Et je peux te dire qu’on rigolait pas toujours. Enfin, moi j’étais jeune alors c’est vrai que j’avais de bons souvenirs mais pour mes vieux, c’était pas facile ! Mon père, il en a bavé. Quand j’y pense maintenant, c’était dur pour lui. Quand il revenait du travail, il était crevé, il nous parlait presque pas sauf pour nous parler du bled, du pays. C’est dur quand j’y pense maintenant pour la génération de mon père. Quand il est mort, je me suis dit que mes frangins et frangines ne connaissaient rien de sa vie et des souffrances qu’il a endurées mais on sait tous maintenant qu’il en a bavé ! (S., 48 ans, vétéran, agent d’entretien, marié, trois enfants.)
            Ce témoignage révèle une sorte de présence du père mais dans son absence34. Les conditions de vie difficiles des parents lors de l’arrivée en France sont occultées, sauf lorsqu’elles s’expriment dans la colère et l’indignation :
            On a parqué nos pères comme des bêtes dans des bidonvilles ! Pas de chauffage, pas d’électricité, pas de confort et ils allaient travailler comme des chiens sans rien dire. (C., 30 ans, galérien, délégué syndical, chauffeur dans une société de transport, célibataire.)
            Le silence des pères se révèle déterminant dans les propos de ces jeunes. L’image paternelle apparaît dès lors comme dévalorisée par les fils qui réclament des comptes à la société, ce que ne pouvait faire le père devenu « ouvrier par destination ».
            Nos pères ils avaient peur. Ils bronchaient pas ! Mais maintenant ce n’est pas notre cas. Moi, je suis né en France, j’ai la carte d’identité française et on n’a pas peur. En fait, on n’a plus peur ! Qu’est-ce qu’y vont nous faire de plus ! Si, nous empêcher de pratiquer notre religion… (I., 30 ans, musulman pratiquant, dess en chimie, marié, 1 enfant.)
            Un sentiment de revanche se dessine dans les propos de cet enquêté. Le passé, vécu comme humiliant, est trop lourd à porter et ce témoin doit se projeter dans l’avenir pour construire ses rapports avec une société perçue comme injuste. Certains de ces jeunes se revendiquent Français, mais également issus de l’immigration maghrébine, tout en entrant en résistance avec la société qu’on leur propose. La prise de conscience par ces jeunes d’avoir une mémoire volée35 et un avenir en hypothèque explique en partie ces paroles véhémentes. Ces propos émanant d’enfants d’immigrés apparaissent très spécifiques du point de vue de l’immigration (notamment dans l’infériorité de la condition juridique et citoyenne de leur père), mais ceci ne doit pas nous faire oublier que les « jeunes de cité » peuvent être des enfants d’ouvriers « français » depuis plusieurs générations. Et ces derniers ne sont pas non plus en reste avec la gestion sociale difficile de l’héritage ouvrier des parents, même chez ceux qui s’en sortent :
            C’est vrai que c’est pas facile. Bon, moi, j’ai un bts mais quand je vois mon père qui a perdu son emploi à 52 ans chez Chausson et qui y a travaillé toute sa vie comme son père, où est la gratitude ? Dis-moi on s’est foutu de nous, non ? On en a souffert psychiquement mais aussi économiquement. Il était question que j’abandonne mes études. Et même si aujourd’hui, il est en pré-retraite, ça me donne envie de tout foutre en l’air des fois, tu vois ? (J., 26 ans, invisible, bts en électrotechnique, salarié, vit en couple).
            La condition ouvrière, notamment depuis le déclin des « banlieues rouges » et du système social qui l’accompagnait, apparaît encore aujourd’hui difficile pour les jeunes interrogés. Mais lorsque l’on ajoute le passé migratoire à la condition sociale ouvrière, le poids de l’héritage familial dans leur construction identitaire se révèle être un handicap. Cet inconvénient s’avère alors dommageable pour ces jeunes dans leur rapport à la société et aux institutions, ce qui rend problématique leur vision du monde, une société perçue comme injuste et inégalitaire à leurs yeux.

Richesse des « blancs » et pillage colonial


            La revanche des fils cache mal les ressentiments de ces jeunes en quête d’histoire mais aussi de présent. Pour expliquer leur situation, ils n’hésitent pas à repenser la situation coloniale et même à réinventer le passé. Un trentenaire originaire de Guadeloupe n’hésite pas à désigner le blanc, « l’homme blanc », comme responsable de ces malheurs et des dérives de la planète :
            Ceux qui s’enrichissent, ceux qui ont usurpé l’histoire ! Ceux qui mentent et qui ont oublié Dieu ! Ceux qui blasphèment et qui détournent les richesses de la nature créée par Dieu ! Ceux qui exploitent l’homme… ce ne sont pas les voleurs de supermarché ! Non, je parle de ceux qui convoitent les richesses, les malheurs, ceux qui exploitent la misère et organisent les famines… ils passent à la télé, sont à la tête des entreprises et c’est, ne le prends pas mal, des blancs ! (D., 34 ans, vétéran, marié, deux enfants, salarié à la sncf, syndicat Sud.)
            Ces propos teintés d’amertume en disent long sur les sentiments qui traversent ces jeunes, même ceux qui prennent de l’âge. Les malheurs de l’histoire sont alors causés par le « blanc » ou plutôt l’occidental comme nous le confirment les propos d’un étudiant :
            Toutes les richesses des colonies, tu les trouves au Louvre ou dans tous les musées français. Ils veulent faire croire que les Arabes sont des idiots, des brutes alors qu’à l’époque du prophète, on était la civilisation la plus brillante et les Européens se douchaient pas. Le Coran c’est la révélation de Dieu et la civilisation musulmane a régné tant qu’elle respectait ce qu’il y avait dans le Coran. C’est pour ça que les occidentaux ne veulent pas qu’on pratique notre religion et qu’ils ne veulent pas nous rendre et pratiquer nos richesses ! (M. 25 ans, invisible, étudiant en maîtrise de droit, parents d’origine algérienne.)
            Ces jeunes se ré-interrogent sur le passé en raison d’un présent perçu comme difficile et d’un futur mis en hypothèque36. Leur passé migratoire et post-colonial explique selon eux les causes de leurs souffrances présentes et ils voient le futur comme plus qu’incertain, conséquence directe d’un passé douloureux et injuste ; pour ces enquêtés, l’avenir, à défaut d’être envisagé à travers une insertion professionnelle satisfaisante, donnera l’occasion de « régler ses comptes » avec une société appréhendée comme raciste, inégalitaire et injuste.

Conclusion

            Cette enquête au cœur d’un quartier ouvrier en voie de mutation économique et urbanistique depuis 20 ans montre les changements qui s’opèrent au sein d’une frange des « classes populaires ». Ces transformations récentes, qui ne sont que des recompositions37, dessinent des configurations nouvelles et des enjeux propres à une société marginalisant les groupes sociaux qui ne sont plus compétitifs ou productifs. Ainsi, les « classes populaires », notamment celles issues de l’immigration se retrouvent plus ou moins exclues d’un monde du travail qui demande stratégie, disponibilité et flexibilité. Les « jeunes de cité » se trouvent au carrefour de ces mutations qui les affectent plus que tout autre groupe social : 1) ils ne s’inscrivent plus dans les dynamiques politiques et économiques actuelles ; 2) ils sont perçus comme les nouveaux « ennemis de l’intérieur » ; 3) ils ne sont guères représentés dans les partis et les syndicats à l’image des classes populaires affectées par le déclin des socialismes ; 4) ils se retrouvent concentrés dans des espaces publics (les espaces résidentiels tels que les halls d’immeubles), soumis à la stigmatisation médiatique, à l’exclusion politique et à la disqualification économique et sociale.
            Le destin de ces enfants d’ouvriers et d’immigrés qui ne peuvent plus devenir ouvriers et qui peinent à être salariés semble délicat. Comment ces jeunes perçoivent-ils le monde et la société qui les entourent dans un contexte de changement qui ne leur est guère favorable ? Faut-il recourir alors au concept de « violence symbolique » et son corollaire de domination sociale pour expliquer le sentiment prégnant d’injustice parmi ces jeunes ? Ou bien la notion de « victimation collective » est-elle davantage pertinente ? La réponse au vu de la complexité évoquée par cet article se doit d’être nuancée et mesurée en raison de la grande variété des parcours exposés. La perception de la société varie pour ces jeunes selon le niveau d’étude, l’âge, le degré de pratiques religieuses ou le rapport à la « culture de rue ». On retrouve cependant des dénominateurs communs autour de sentiments d’injustice et de révolte qui les amènent parfois à formuler des critiques « radicales » sur la société française et ses institutions. Dans le cadre de l’observation participante réalisée en immersion totale, et même si nous sommes dans le registre du discours et de la parole, force est de constater que les enjeux de domination symbolique, mais également politique et institutionnelle, pèsent sur le destin collectif de ces jeunes. Autrement dit, les « jeunes de cité » interrogés, qu’ils soient étudiants, salariés ou en échec scolaire et professionnel, n’ont pas de réels moyens économiques et politiques pour répondre aux attaques et aux injustices qui leur sont faites ; ils se sentent dépossédés de tout pouvoir, hormis celui d’en parler entre eux, et cette dépossession alimente une « théorie locale » de l’inégalité et de l’injustice. Le sentiment persistant de « victimation collective » propage une perception négative et cynique de la société chez ces enfants d’ouvriers et d’immigrés, formatant leur manière de voir et de penser le monde38. La situation de violence indicible mais implacable à leur égard génère des craintes et cristallise des incompréhensions qui nourrissent un sentiment de malaise collectif fédérateur.
            Pour conclure, l’image de la société perçue collectivement par ces jeunes se révèle extrêmement complexe : la vision inégalitaire et injuste, partagée par tous entraîne un sentiment de persécution et de « victimation » à géométrie variable selon les trajectoires et les réussites individuelles. En effet, les propos de ces jeunes nous orientent vers l’idée d’un « front commun », alors que les aspirations et les parcours individuels nous évoqueraient, au contraire, un éclatement des trajectoires. Si les diplômés du supérieur issus des quartiers dits sensibles peinent encore à trouver une insertion professionnelle respectable et honorable, la question de « front commun » autour de la théorie du complot et du sentiment d’injustice risque de l’emporter dans la perception collective des jeunes et des moins jeunes qui vivent dans les cités populaires de nos jours39.
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Notes de bas de page
1 Sébastien Peyrat, Justice et Cités. Le droit des cités à l’épreuve de la République, Paris, Anthropos, 2003.
2 Stéphane Beaud, Michel Pialoux, Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classes dangereuses, Paris, Fayard, 2003 ; Younès Amrani, Stéphane Beaud, Pays de malheur ! Un jeune de cité écrit à un sociologue, Paris, le Seuil, 2004.
3 Laurent Mucchielli, « Le rap de la jeunesse des quartiers relégués, un univers de représentation structuré par des sentiments d’injustice et de victimations collectives », in Manuel Boucher, Alain Vulbeau, Émergences culturelles et jeunesse populaire, turbulences ou médiations ?, Paris, l’Harmattan, 2003, p. 325-355.
4 Cyprien Avenel, « Les jeunes des quartiers urbains dits "sensibles" », in Catherine Pugeault-Cicchelli, Vincenzo Cicchelli, Tariq Ragi, Ce que nous savons des jeunes, Paris, puf, 2004, p. 177-189.
5 Claude Grignon, Jean-Claude Passeron, Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard, 1982.
6 Juliet Corbin, Anselm Strauss, Les trames de la négociation, Paris, l’Harmattan, 1990, p. 55.
7 Ce type d’entretien n’étant pas toujours le plus facile à réaliser. Cf. Jean-Claude Kaufmann, L’entretien compréhensif, Paris, Nathan, 1996.
8 Sur la mise en condition de réalisation des entretiens, cf. Alain Blanchet, Dire et faire dire. L’entretien, Paris, Armand Colin, 1997.
9 Bernard Lahire, L’esprit sociologique, Paris, la Découverte, 2005, p. 39.
10 On notera par ailleurs que la recherche présentée ici ne porte que sur des « jeunes » ayant dépassé l’âge de la majorité.
11 Alain Vulbeau, « La jeunesse comme ressource : paradigme pour un espace de recherches », in Alain Vulbeau, La jeunesse comme ressource, expérimentations et expérience dans l’espace public, Paris, Erès, 2001, p. 9-15.
12 Pour en savoir plus, cf. Robert Castel, La métamorphose de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995 ; ou bien, plus récemment : Marie-Hélène Bacqué, Yves Sintomer, « Affiliations et désaffiliations en banlieue. Réflexions à partir des exemples de Saint-Denis et d’Aubervilliers », Revue française de sociologie, 2001, 42-2, p. 217-249.
13 Cf. Éric Marlière, Jeunes en cité. Diversité des trajectoires ou destin commun ?, Paris, l’Harmattan, 2005.
14 François Dubet, La galère : jeunes en survie, Paris, Fayard, 1987.
15 Michel Kokoreff, « Faire du business dans les quartiers. Éléments sur les transformations socio-historiques de l’économie des stupéfiants en milieux populaires. Le cas du département des Hauts-de-Seine », Déviance et société, n° 4, 2000, p. 403-423.
16 Saïd Bouamama, Dix ans de marche des beurs, chronique d’un mouvement avorté, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.
17 Celle de la fin des années 1990 à l’époque de l’enquête de terrain.
18 Pour la définition de ce groupe, cf. plus loin : Les jeunes délinquants : entre trafic de cannabis, recels et missions en intérim.
19 Le premier est l’acte de foi (shahada) qui est invoqué de manière quotidienne ; le second correspond à l’exercice de la prière (salat) qui est accompli cinq fois par jour ; les 3 piliers restants sont le ramadan (ramdan), l’aumône (zakat) et le pèlerinage (haj).
20 Du sud du Maroc notamment.
21 Notamment entre les familles dont certaines sont originaires des mêmes villages.
22 L’absence de violence dans ce quartier lors des grandes émeutes nationales en atteste.
23 Courant religieux qui se réclame du mode de vie « exemplaire » du prophète musulman. Les orientalistes et autres islamologues distinguent trois courants majeurs parmi ceux qui se revendiquent comme salafis.
24 Les invisibles et les musulmans pratiquants n’ont pas de rapport avec ce type d’acteurs institutionnels.
25 Cannabis dans le jargon local.
26 Patrick Simon, « Les jeunes issus de l’immigration se cachent pour vieillir. Représentations sociales et catégories de l’action publique », vei Enjeux, n° 121, 2000, p. 23-38.
27 Philippe Bataille, Le racisme au travail, Paris, la Découverte, 1997.
28 Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les héritiers, les étudiants et la culture, Paris, les éditions de Minuit, 1964.
29 Pour mieux saisir l’importance de la mémoire de l’espace territorial dans la construction des représentations sociales, cf. Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997, p. 193-236.
30 Olivier Masclet, La gauche et les cités, enquête sur un rendez-vous manqué, Paris, la Dispute, 2003.
31 Au sens de business.
32 Beaucoup de jeunes, parfois enfants d’ouvriers sans être enfants d’immigrés, se posent aussi ce type de question quant au sort médiatique réservé « aux banlieues ». Les récents discours d’auteurs comme Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Jack Alain-Léger ou Alexandre Del Valle inquiètent les « jeunes de cité » les plus instruits et ayant fait de bonnes études universitaires. Ces derniers, de confession musulmane ou non, s’interrogent sur la tolérance d’une société à admettre en son sein des minorités.
33 Pour plus d’informations sur les conditions sociales d’installation des immigrés nord-africains en France, cf. Mekki Betahar, Les Arabes en France, Rabat, Sociétés marocaines des éditions réunies, 1979 ; sur la question de la position des immigrés nord-africains dans le monde ouvrier, cf. Maryse Tripier, L’immigration dans la classe ouvrière, Paris, l’Harmattan, 1990.
34 Abdelmalek Sayad, La double absence, des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, le Seuil, 1999.
35 Hajjat Abdellali, Immigration postcoloniale et mémoire, Paris, l’Harmattan, 2005.
36 Les études supérieures notamment à l’université ne sont pas garantes d’une amélioration sensible des conditions de vie pour ces enfants d’ouvriers et d’immigrés.
37 Boucher Manuel, Repolitiser l’insécurité, sociographie d’une ville ouvrière en recomposition, Paris, l’Harmattan, 2004, p. 56. L’auteur entend par recomposition le concept développé par Alain Touraine concernant les mouvements sociaux dans un contexte de sortie du conflit opposant les classes ouvrières à celles de la bourgeoisie industrielle. Les transformations des comportements des populations ouvrières s’illustrent en partie avec les attitudes des « jeunes de cité », dernière génération d’ouvriers pour qui l’épopée industrielle appartient au manuel d’histoire.
38 Cette conception pessimiste du monde social pourrait aujourd’hui toucher une population plus large d’habitants des quartiers populaires, cf. Éric Marlière, « Les habitants des quartiers : adversaires ou solidaires des émeutiers ? », in Véronique Le Goaziou, Laurent Mucchielli (dir.), Quand les banlieues brûlent … Retour sur les émeutes de novembre 2005, Paris, la Découverte, 2006, p. 72-86.
39 L’auteur remercie les évaluateurs pour leurs commentaires sur une version antérieure de ce texte, ainsi que Bessie Leconte et Élisabeth Callu pour leur relecture.
Éric Marlière
Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (cesdip, umr 2190), Saint-Quentin-en-Yvelines.