Karine-Hinano Guérin
Qui sont les élites chinoises de demain?
Aurore Merle et Michaël Sztanke, Etudiants chinois:
qui sont les élites de demain?

Paris: Autrement, 2006, 109 p.
(Perspectives Chinoises, nº 97, septembre-décembre 2006)
Mis en ligne le 8 juin 2007.
http://perspectiveschinoises.revues.org/document1081.html

            Le livre d’Aurore Merle et Michaël Sztanke constitue un outil pertinent pour comprendre qui sont les étudiants chinois d’aujourd’hui. Peu d’auteurs ont abordé ce sujet de recherche, la littérature existante concentrant son attention sur leurs aînés : la génération Tiananmen. La place et les valeurs de cette nouvelle génération d’étudiants sont pourtant fondamentales puisqu’ils formeront l’élite de demain dans une Chine placée sur le devant de la scène mondiale. Dans sa préface de l’ouvrage, Cai Chongguo, ancien professeur de philosophie et dissident politique réfugié en France depuis 1989, pose sans détour les contraintes qui pèsent sur cette génération peu politisée et presque vide d’idéaux : « (Le contrôle politique combiné au contrôle de l’histoire façonne) une génération sans mémoire ni rêves, à l’identité fragilisée, et de plus en plus angoissée et uniformisée ».
            Synonyme de la réussite au gaokao – concours qui permet d’accéder à l’enseignement supérieur –, l’entrée à l’université représente un rêve aujourd’hui partagé par l’ensemble des familles chinoises. Dans une conjoncture de globalisation, la Chine doit réformer ses institutions universitaires afin de faire face au défi de la « massification » de l’enseignement supérieur. Depuis 1999, l’accès à l’éducation supérieure s’est élargi mais à quel prix ? Des familles se sont endettées au profit des universités. On se souvient des saccages des étudiants du Henan suite aux diplômes délivrés où ne figurait pas le nom de l’université prestigieuse promis contre des frais universitaires exorbitants1. Cet ouvrage ouvre des réflexions sur la transformation du système universitaire chinois : comment réformer l’université tout en maintenant une qualité d’enseignement et répondre à la demande du marché du travail2 ?
            Le quotidien des étudiants au sein des campus universitaires est ensuite révélé soulignant le mal-être de ces enfants uniques obligés à vivre en communauté. Le campus constitue une véritable ville dans la ville regroupant salles de classes et logements pour les étudiants et leurs professeurs. Ouverts à l’économie de marché et aux nouvelles tendances de la société, les campus restent néanmoins sous la coupe du Parti communiste chinois dont la stratégie est d’intégrer les élites intellectuelles dès le commencement de leur formation. Ainsi, la majorité des étudiants appartiennent à la puissante Ligue de la jeunesse dans le but de sécuriser leur avenir et pas toujours par conviction politique. Néanmoins, tous se rejoignent sur la volonté de travailler à porter la puissance de la Chine au sommet international. Malgré leur pragmatisme et leur volonté de réussite économique individuelle, une partie des étudiants chinois remet en question le système politique dans lequel ils évoluent, agissant de manière plus ou moins discrète par des engagements civiques ou sociaux. Ainsi, de nombreux étudiants n’hésitent plus à s’exprimer sur les forums Internet ou pour certains, à intervenir auprès des laissés pour compte de la croissance par le biais de mobilisation auprès des travailleurs migrants, des paysans de l’Ouest ou des victimes du sida.
            Mêlant descriptions, entretiens et analyses, cet ouvrage ne se limite pas à donner un point de vue extérieur sur le sujet traité, mais s’efforce de montrer le regard critique que les étudiants posent sur eux-mêmes mais aussi sur la Chine dans laquelle ils évoluent.
            Au moment où l’on parle essentiellement de l’injustice paysanne et de l’émergence des classes moyennes, on a tendance à oublier l’importance de la population étudiante qui tente de tirer son épingle du jeu. Les questions de sentiment d’appartenance à une élite et de nationalisme des étudiants ainsi que leur volonté de voir émerger une société chinoise plus égalitaire (ou plus élitiste) sont soulevées à travers cette enquête passionnante ponctuée par de nombreux témoignages recueillis en Chine de 2000 à 2005.


Notes
1 Voir Bruno Birolli, « La chasse aux emplois enflamme les universités », www.nouvelobs.fr
2 Les diplômés de l’université comptent 30% de chômeurs. Voir Yu Yanping, « Les jeunes diplômés chinois en butte au chômage », Perspectives chinoises, n°80, novembre-décembre 2003, p. 4-12.