Anne Pélouas


Homa Arjomand
www.nosharia.com
22.10.05

Homa Arjomand est celle qui a fait plier le gouvernement provincial de l'Ontario. Sans argent, par sa seule volonté. Dans cette riche province, où vit une bonne partie des 600 000 musulmans du Canada, des groupes islamistes réclamaient depuis 2003 le droit d'arbitrer des conflits de nature familiale en s'appuyant sur la charia. Après avoir flirté avec l'idée de dire oui, le premier ministre de la province, Dalton McGuinty, y a finalement renoncé, le 11 septembre.

Réfugiée iranienne de 53 ans, celle qui crie aujourd'hui "victoire pour les droits des femmes, les droits de l'homme et la civilisation" travaille à Toronto auprès de femmes victimes de violences. Ce sont à 90 % des immigrantes d'origine musulmane, qui subissent d'énormes pressions de leur communauté dès qu'elles s'écartent du "droit chemin" édicté par la loi islamique.

L'histoire même d'Homa Arjomand est une épopée. Après des études de physique médicale en Grande-Bretagne, elle rentre à Téhéran, où elle enseigne dans plusieurs collèges et universités. Dans les années 1980, sous le régime de Khomeiny, elle mène une double vie, profitant de ses voyages pour structurer en secret un mouvement de femmes. L'un de ses meilleurs souvenirs est d'avoir organisé secrètement une énorme manifestation contre le port de la burqa. Combat vainqueur : le régime avait ensuite renoncé à l'imposer aux femmes.

Homa Arjomand n'a pas toujours gagné. En 1989, elle apprend qu'on va l'arrêter. Elle file vers la Turquie ­ avec son conjoint et leurs deux jeunes enfants ­, munie de faux papiers. Un voyage "terrible". "Il fallait traverser les montagnes à cheval, de nuit, dans la neige. Quatre nuits d'enfer pour atteindre le premier village turc. La joie que j'ai alors ressentie ne s'est répétée qu'une fois : lorsque j'ai appris que le gouvernement de l'Ontario renonçait au projet de tribunaux islamiques."

Après quelque temps passé en Turquie, elle demande le statut de réfugiée politique au Canada. Elle a choisi ce pays pour sa réputation de liberté, d'antiracisme et de multiculturalisme. "Quelle erreur !", s'exclame-t-elle aujourd'hui. Ce qu'elle découvre en Alberta, puis en Ontario, ce sont des communautés d'immigrants repliées sur elles-mêmes, gouvernées par la religion, et dont les femmes subissent une forte oppression.

"Au nom du respect des cultures et des religions, o n tolère les mariages arrangés ou la polygamie au Canada !, s'insurge Homa Arjomand. On permet à un musulman de battre sa femme sans être puni, alors qu'un Canadien blanc sera arrêté." Julius Grey, avocat réputé en matière de défense des droits de la personne, partage son combat. S'il a défendu le droit des sikhs à porter le turban, il n'aime pas pour autant ce "multiculturalisme excessif et malsain" invoqué pour soustraire des pans du droit commun aux tribunaux et les confier à des religieux.

En 2003, le projet de tribunaux d'arbitrage islamiques est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. "Je n'en croyais pas mes yeux", se souvient Homa Arjomand. La militante se renseigne à l'étranger, constate que partout il y a menace d'emprise islamique. Elle décide alors de lancer une campagne internationale contre les tribunaux qui s'appuient sur la charia au Canada.

Comme autrefois en Iran, elle organise "un mouvement de base", partant d'individus qui vont essaimer la bonne parole. Un site Internet naît (www.nosharia.com), des milliers de personnes signent une pétition en ligne, une centaine d'organismes de défense des droits de l'homme se mobilisent, dont le Conseil canadien des femmes musulmanes. Sa directrice, Alia Hogben, loue "le travail acharné" d'Homa Arjomand. "Notre perspective, en tant que musulmanes, était différente, précise-t-elle, mais, pas plus qu'elle, nous ne voulions que des lois religieuses soient utilisées pour régler des problèmes familiaux."

La levée de boucliers fait bouger le gouvernement de l'Ontario. En décembre 2004, un rapport recommande d'autoriser, tout en l'encadrant, l'arbitrage religieux selon la charia. Cette position met le feu aux poudres, et Homa Arjomand refuse de désarmer. La campagne anticharia prend de l'ampleur, au Canada et à l'étranger.

Avec, pour seules armes, "un bureau dans la chambre à coucher, un ordinateur et un -téléphone- cellulaire", elle organise des meetings dans le monde entier via Internet. Sa liste d'adresses électroniques contient 28 000 noms ! Durant des mois, son groupe a exercé une pression permanente sur les responsables du gouvernement de la province. "Je crois , souligne-t-elle, qu'ils ont alors réalisé que cela irait de mal en pis et que nous n'allions pas baisser les bras."

Le 8 septembre, la tension monte d'un cran. Des manifestations anti-tribunaux islamiques sont organisées dans plusieurs grandes villes canadiennes et étrangères. Trois jours plus tard, le premier ministre de l'Ontario annonce qu'il "n'y aura pas de loi de la charia en Ontario ni d'arbitrage religieux, mais une loi pour tous les Ontariens".

Homa Arjomand a-t-elle fini de s'inquiéter ? " Quand je verrai un imam arrêté au Canada pour non-respect de la loi interdisant la polygamie ou pour avoir célébré un mariage arrangé avec une mineure, je crierai vraiment victoire !", réplique-t-elle.

Il lui reste aussi à veiller à ce qui se passe dans le monde. Homa Arjomand effectue actuellement un voyage en Europe. Elle sera notamment à Paris (le 24 octobre) et à Lyon (le 26), pour partager son expérience avec ceux qui s'y battent aussi contre "les islamistes politiques". Avec un message simple : il est possible de "les empêcher d'agir".