Louise Dionne
L’envers de la droite américaine
www.revuerelations.qc.ca 3 mai 2006

            La réélection de George W. Bush en 2004, malgré les nombreuses critiques envers sa politique étrangère et sa piètre performance économique, inquiète sur la disposition des Étasuniens à vouloir endiguer la marée conservatrice et néolibérale qui ravage la scène politique et sociale du pays. Les démocrates ont bien tenté de rassembler les forces « progressistes » sous leur bannière avec la campagne America Coming Together (ACT). Plusieurs artistes connus pour leur engagement – non-partisan – avaient accepté de se joindre à la tournée Vote for Change appelant la population à ne pas réélire Bush. Cela n’a pas suffi. Si les spectacles ont été un succès, les résultats politiques de ces deux événements, eux, n’ont pas ébranlé la forteresse républicaine. L’ouragan Katrina a aussi mis en lumière un visage peu reluisant des États-Unis – conséquences des décennies de néolibéralisme –, soit l’énorme fossé entre une classe dominante qui s’enrichit sans cesse et les plus démunis, abandonnés à eux-mêmes.
            Le triomphalisme de la droite conservatrice et la guerre au terrorisme, à la suite du 11 septembre, semblent avoir donné le coup de grâce à des organisations sociales déjà fragilisées par des années de néolibéralisme et impuissantes devant les ressources mises en branle par la droite. Que s’est-il donc passé depuis les années 1960 pour que les forces sociales à l’œuvre à cette époque se soient soudainement évanouies? Existe-t-il encore des mouvements de résistance populaire?
            Les États-Unis, patrie du capitalisme et du libéralisme, semblent avoir réussi à occulter toute pensée contestataire. Ils ont su, mieux que tout autre pays industrialisé, faire taire les formes les plus radicales de l’opposition. Le maccarthysme et la chasse aux communistes en est l’exemple le plus frappant. Après l’intermède des années 1960 et 1970, il y a eu la guerre aux syndicats lancée par Ronald Reagan et poursuivie par les gouvernements subséquents, le backlash antiféministe, la mainmise de la droite sur les médias, etc. Sur le plan de la politique, « être de gauche » est passé du tabou à l’anathème, véritable insulte à jeter à la face de ses adversaires.
            La droite a réussi à faire porter les inégalités sociales pourtant criantes sur les épaules des plus pauvres, mais surtout à faire porter le blâme sur les « progressistes » qui avaient réussi, bien modestement, à mettre de l’avant quelques mesures sociales telles que la Social Security, le Medicare et les Welfare Programs.
            Pourtant, les États-Unis ont été le fer de lance de nombreux mouvements de contestation qui ont marqué le XX e siècle. Que l’on pense au mouvement des droits civiques, à la contre-culture et son mouvement hippie, au mouvement des femmes qui a donné naissance à ses pendants les plus extrémistes tels que New York Radical Women et Redstockings. De même, le mouvement antiraciste a développé une analyse radicale qui lui est propre comme, entre autres, celle des Black Panthers ou de Malcolm X. Des mouvements ouvriers se sont inspirés de la pensée marxiste – mais aussi anarchiste – dont le Socialist Labor Party, parti politique encore actif, et l’International Workers of the World, syndicat anarchiste qui a joué un rôle important dans les années 1910-1920. L’opposition à la guerre du Vietnam a servi de modèle de contestation et inspiré de nombreux mouvements pacifistes. Plus récemment, l’opposition à la rencontre de l’OMC, de Seattle, en a surpris plusieurs et constitue un moment majeur dans l’essor du mouvement altermondialiste.
            Ces grands mouvements sociaux ont été le résultat d’alliances stratégiques entre différentes tendances allant des libéraux aux radicaux, en passant par des résistances non partisanes contre les inégalités et des organisations plus structurées telles que des syndicats. Cette diversité de tendances fait partie de l’histoire du pays et est active dans les zones les plus touchées par les injustices au plan local et national.
            Le mouvement de contestation et de transformation sociale n’est pas éteint, malgré la vague conservatrice et « sécuritaire ». Des groupes s’opposent au complexe carcéro-industriel ou à l’incarcération des jeunes, tels que No More Jails for Youth. D’autres contestent l’impérialisme et les politiques étrangères de leur pays. Des organisations luttent pour combattre les inégalités sociales grandissantes et les politiques répressives. Des regroupements religieux, notamment issus de la gauche chrétienne marginale au sein des Églises, dénoncent l’inacceptable, dont le récent projet de loi sur l’immigration qui criminalise l’entraide. Des syndicats prennent le parti des salariés les plus précaires et cherchent d’autres voies que le syndicalisme d’affaires. Il en va de même du mouvement anti-guerre, qui se veut une opposition à la politique guerrière du gouvernement, au sein duquel une certaine gauche tente de situer le débat dans un contexte plus large de lutte de classes. L’envers de la droite n’est peut-être pas aussi docile qu’il y paraît, même s’il se tient dans l’ombre. Ce dossier veut rendre compte de l’état des oppositions à l’œuvre au pays de l’Oncle Sam.
« Après le 11 septembre, le slogan était United we stand (Unis, nous demeurons). Pour ma part, j’interprète ce slogan ainsi : ne pensez pas, contentez-vous d’être de bons patriotes et de faire ce qu’on vous dit. »
Susan Sontag
            La réélection de George W. Bush en 2004, malgré les nombreuses critiques envers sa politique étrangère et sa piètre performance économique, inquiète sur la disposition des Étasuniens à vouloir endiguer la marée conservatrice et néolibérale qui ravage la scène politique et sociale du pays. Les démocrates ont bien tenté de rassembler les forces « progressistes » sous leur bannière avec la campagne America Coming Together (ACT). Plusieurs artistes connus pour leur engagement – non-partisan – avaient accepté de se joindre à la tournée Vote for Change appelant la population à ne pas réélire Bush. Cela n’a pas suffi. Si les spectacles ont été un succès, les résultats politiques de ces deux événements, eux, n’ont pas ébranlé la forteresse républicaine. L’ouragan Katrina a aussi mis en lumière un visage peu reluisant des États-Unis – conséquences des décennies de néolibéralisme –, soit l’énorme fossé entre une classe dominante qui s’enrichit sans cesse et les plus démunis, abandonnés à eux-mêmes.
            Le triomphalisme de la droite conservatrice et la guerre au terrorisme, à la suite du 11 septembre, semblent avoir donné le coup de grâce à des organisations sociales déjà fragilisées par des années de néolibéralisme et impuissantes devant les ressources mises en branle par la droite. Que s’est-il donc passé depuis les années 1960 pour que les forces sociales à l’œuvre à cette époque se soient soudainement évanouies? Existe-t-il encore des mouvements de résistance populaire?
            Les États-Unis, patrie du capitalisme et du libéralisme, semblent avoir réussi à occulter toute pensée contestataire. Ils ont su, mieux que tout autre pays industrialisé, faire taire les formes les plus radicales de l’opposition. Le maccarthysme et la chasse aux communistes en est l’exemple le plus frappant. Après l’intermède des années 1960 et 1970, il y a eu la guerre aux syndicats lancée par Ronald Reagan et poursuivie par les gouvernements subséquents, le backlash antiféministe, la mainmise de la droite sur les médias, etc. Sur le plan de la politique, « être de gauche » est passé du tabou à l’anathème, véritable insulte à jeter à la face de ses adversaires.
            La droite a réussi à faire porter les inégalités sociales pourtant criantes sur les épaules des plus pauvres, mais surtout à faire porter le blâme sur les « progressistes » qui avaient réussi, bien modestement, à mettre de l’avant quelques mesures sociales telles que la Social Security, le Medicare et les Welfare Programs.
            Pourtant, les États-Unis ont été le fer de lance de nombreux mouvements de contestation qui ont marqué le XX e siècle. Que l’on pense au mouvement des droits civiques, à la contre-culture et son mouvement hippie, au mouvement des femmes qui a donné naissance à ses pendants les plus extrémistes tels que New York Radical Women et Redstockings. De même, le mouvement antiraciste a développé une analyse radicale qui lui est propre comme, entre autres, celle des Black Panthers ou de Malcolm X. Des mouvements ouvriers se sont inspirés de la pensée marxiste – mais aussi anarchiste – dont le Socialist Labor Party, parti politique encore actif, et l’International Workers of the World, syndicat anarchiste qui a joué un rôle important dans les années 1910-1920. L’opposition à la guerre du Vietnam a servi de modèle de contestation et inspiré de nombreux mouvements pacifistes. Plus récemment, l’opposition à la rencontre de l’OMC, de Seattle, en a surpris plusieurs et constitue un moment majeur dans l’essor du mouvement altermondialiste.
            Ces grands mouvements sociaux ont été le résultat d’alliances stratégiques entre différentes tendances allant des libéraux aux radicaux, en passant par des résistances non partisanes contre les inégalités et des organisations plus structurées telles que des syndicats. Cette diversité de tendances fait partie de l’histoire du pays et est active dans les zones les plus touchées par les injustices au plan local et national.
            Le mouvement de contestation et de transformation sociale n’est pas éteint, malgré la vague conservatrice et « sécuritaire ». Des groupes s’opposent au complexe carcéro-industriel ou à l’incarcération des jeunes, tels que No More Jails for Youth. D’autres contestent l’impérialisme et les politiques étrangères de leur pays. Des organisations luttent pour combattre les inégalités sociales grandissantes et les politiques répressives. Des regroupements religieux, notamment issus de la gauche chrétienne marginale au sein des Églises, dénoncent l’inacceptable, dont le récent projet de loi sur l’immigration qui criminalise l’entraide. Des syndicats prennent le parti des salariés les plus précaires et cherchent d’autres voies que le syndicalisme d’affaires. Il en va de même du mouvement anti-guerre, qui se veut une opposition à la politique guerrière du gouvernement, au sein duquel une certaine gauche tente de situer le débat dans un contexte plus large de lutte de classes. L’envers de la droite n’est peut-être pas aussi docile qu’il y paraît, même s’il se tient dans l’ombre. Ce dossier veut rendre compte de l’état des oppositions à l’œuvre au pays de l’Oncle Sam.
« Après le 11 septembre, le slogan était United we stand (Unis, nous demeurons). Pour ma part, j’interprète ce slogan ainsi : ne pensez pas, contentez-vous d’être de bons patriotes et de faire ce qu’on vous dit. »
Susan Sontag