Marie Gaille-Nikodimov

Peut-on être riche et bon citoyen ? L’Aristote humaniste au
secours de l’esprit du capitalisme florentin

(Astérion, Philosophie, histoire des idées, pensée politique, numéro 5, Juillet 2007)


Introduction

                En 1402-1421, Cosimo de Médicis, citoyen privé, héritier d’une fortune familiale, bancaire et commerciale, qu’il n’aura de cesse d’accroître au long de sa vie, et citoyen de Florence, dont il deviendra le prince officieux à partir du milieu des années 1430, reçoit un cadeau de la part de Leonardo Bruni. Il s’agit d’une traduction commentée du livre I d’un traité attribué au xve siècle à Aristote, l’Économique1. Ce traité pseudo-aristotélicien se compose à l’origine de trois livres : le premier est quasiment une copie du livre I de la Politique, notamment des chapitres 2 et 10, tout en s’inspirant de l’Économique de Xénophon. Il a sans doute été écrit par un disciple d’Aristote entre 325 et 275 avant J.-C. Le livre II, que Bruni n’a pas traduit, car il était indisponible à son époque, introduit des considérations étrangères à la pensée d’Aristote. Il a sans doute été composé avant la partition de l’empire d’Alexandre. Enfin, le livre III, connu de Bruni seulement à travers une traduction latine médiévale, la Recensio Durandi, développe des thèmes étroitement associés au livre I. Il a sans doute été rédigé dans le dernier quart du ive siècle avant J.-C. et a peut-être subi des modifications d’inspiration stoïcienne au iie ou iiie siècle après J.-C.2
                La traduction de ce texte par Bruni n’est pas une première. Ses livres I et III ont été traduits une première fois en latin vers 1267 par Guillaume de Moerbecke, l’un des principaux traducteurs en latin d’Aristote au Moyen Âge, sans doute à partir de deux versions arabico-latines faites dans l’entourage d’Averroès ou par Averroès lui-même (au moins l’une d’entre elles). Puis, au début du xive siècle, une traduction des trois livres apparaît en France. Ces deux versions sont suivies de divers commentaires. Une première traduction en langue vulgaire, le français en l’occurrence, est réalisée par Nicole Oresme, à la demande du roi Charles V au début des années 1370, afin, sans doute, que ses conseillers puissent avoir facilement accès au texte ; cette traduction est plagiée en 1415 par Laurent de Premierfait, qui la destine à Jean, duc de Berry, frère de Charles V. Bruni lui-même traduit les livres I, puis III, qu’il présente comme les livres I et .
                Pourquoi Leonardo Bruni éprouve-t-il le besoin de proposer une nouvelle traduction latine du traité pseudo-aristotélicien ? Pourquoi ce geste à l’égard de Cosimo de Médicis ? Par cette traduction et sa glose, Leonardo Bruni s’insère dans une chaîne qui se déroule du début à la fin du xve siècle et s’inscrit en rupture à l’égard d’une conception morale et politique qui fait de la poursuite des richesses un vice moral et politique majeur. En amont de cette chaîne, on rencontre Coluccio Salutati, maître de Bruni, comme lui humaniste éminent et chancelier ; en aval, en 1480-1481, Cristoforo Landino intègre les marchands dans son catalogue des viri illustres destiné à exalter la gloire de Florence, établi dans le proemio de son Commento alla Divina Commedia3. On ne peut exclure une visée personnelle dans ce cadeau fait à un citoyen primum inter pares. Leonardo Bruni, originaire d’Arezzo, est né entre 1370 et 1375. Il s’est installé définitivement à Florence en 1415, après plusieurs années de service comme secrétaire de la curie romaine4. Il s’est vu attribuer le titre de citoyen et est devenu, brièvement en 1411 le chancelier de la cité. Il le sera de nouveau entre 1427 à 1444. À deux époques différentes de sa vie et de sa carrière, il offre deux louanges à la cité florentine : en 1407-1408, dans sa Laudatio florentine urbis et, après la traduction de l’Économique, à l’automne 1427, dans l’oraison funèbre en l’honneur de Iohannis Strozze, l’Oratio in funere Iohannis Strozze, chef des armées florentines en guerre contre les Visconti de Milan. Si visée personnelle il y a, si ce travail participe des relations nourries qu’ont alors entretenues marchands et humanistes au point que Christian Bec a pu parler de « lyrisme mercantile »5, en quoi ce travail est-il susceptible de promouvoir Leonardo Bruni auprès des citoyens puissants de Florence ? Cette question nous permet de quitter le terrain de l’anecdote historique et du détail biographique pour aborder celui de l’histoire des idées politiques et éthiques, en conjonction avec l’évolution économique de Florence.

La poursuite privée des richesses : vice ou vertu pour l’Humanisme?


                Ce terrain est balisé par quelques études importantes. Dans ses travaux sur l’humanisme civique, Hans Baron a souligné l’importante diffusion, à Florence, de la thèse selon laquelle la poursuite des richesses était un vice moral et politique majeur6. Cette perspective aurait selon lui un fort ancrage religieux, notamment à travers la diffusion de l’idéal franciscain de la pauvreté. Certes, on connaissait aussi la position de Thomas d’Aquin, qui diffère de cet idéal : ce dernier acceptait en effet l’idée, aristotélicienne et péripatéticienne, selon laquelle les possessions étaient admises par Dieu comme nécessaires à la vie, mais étaient en outre des aides au développement de la vie morale, comme le montre l’exercice de la vertu de libéralité7. Mais cette position thomasienne ne l’emportait pas, selon Baron, à Florence. D’autre part, le rejet moral de la poursuite des richesses trouve alors dans la pensée stoïcienne une seconde assise pour la diffusion de l’idéal de pauvreté. C’est d’ailleurs à cet égard que Thomas d’Aquin critique dans la Somme théologique la pensée stoïcienne8. De cette pensée et de sa diffusion témoigne par exemple Le Livre du trésor, compilation du savoir scolastique rédigée par le Florentin Brunetto Latini vers 1265, qui copie presque verbatim des passages des œuvres de Cicéron, Sénèque, Juvénal et encore Horace.
                Baron souligne aussi que l’idéal de pauvreté ne s’est pas cantonné au monde religieux, mais a aussi pénétré la pensée laïque. Le traité De paupertate evangelica (1341), écrit par un membre de l’entourage du roi Robert de Naples, Dante (malgré la filiation de celui-ci à Thomas d’Aquin), et surtout Pétrarque, dans les écrits de la période d’exil près d’Avignon, proposent des critiques acerbes à l’égard des divitiæ et de leur poursuite. D’autre part, ce rejet de la poursuite des richesses n’a pas seulement une dimension morale et privée. Il a également une signification politique, et cela dès le début du xive siècle. Ptolémée de Lucques, disciple de Thomas d’Aquin et continuateur de son œuvre, le De regno, qu’il intègre à un ouvrage plus vaste, le De regimine principum, s’appuie sur l’histoire romaine pour faire de la pauvreté des citoyens romains un facteur essentiel de l’expansion impériale de Rome9. Boccace s’inscrit dans le sillage de Ptolémée de Lucques. Il s’attache à penser l’histoire romaine à la lumière de cet idéal. Empruntant, comme l’avait fait son prédécesseur, ses exempla à Valerius Maximus, il évoque la pauvreté de Scipion l’Africain, la modestie de Caton, le travail agricole de Cincinnatus, ou encore la simplicité de la vie de Manlius Curius Dentatus, de façon à montrer que la puissance de Rome repose sur le choix des Romains de vivre dans la pauvreté et la simplicité10. Coluccio Salutati développe à son tour, dans son traité De seculo et religione, une réflexion sur le rôle politique de la pauvreté, nourrie elle aussi des exempla romains (Romulus, Numa, et de nouveau Cincinnatus) : la possession de biens engendre, selon lui, le désir de posséder toujours plus et conduit les hommes à tromper, mentir et tricher11.
                Cette analyse, précieuse, nous le verrons, par l’accent qu’elle place sur la dimension politique du jugement porté sur la poursuite des richesses, doit être nuancée sur le tableau qu’elle fait des protagonistes du débat et enrichie du point de vue des marchands, qui participent également à ce débat. L’ouvrage de Bec, Les marchands écrivains à Florence, 1375-1434, retrace le débat qui eut lieu dans les années 1375 et 1434 à Florence autour de la question de l’usure, point d’abcès des relations entre pratiques marchandes et exigences de la foi chrétienne. Loin de conforter cette opposition tranchée entre un argumentaire religieux et un argumentaire marchand, il indique une évolution du discours théologique à l’égard des pratiques marchandes. Divers ouvrages sont alors écrits, publiés ou diffusés, par des théologiens et des juristes notamment. Les plus connus sont Bernardin de Sienne, qui prêche sur l’usure à Florence en 1424 et 1425, et Antonin, archevêque de Florence, qui consacre plusieurs chapitres à la pratique des affaires dans sa Summa confessionalis (1428) et sa Summa theologica (1440). Antonin se réfère lui-même souvent à un traité de Lorenzo Ridolfi, juriste : De usuris (vers 1400), alors très connu. Le Paradiso degli Alberti, texte anonyme écrit au début du xve siècle, évoque aussi les problèmes éthiques soulevés par les pratiques commerciales et industrielles :
                Ces coïncidences ne sont pas fortuites. Car, à la fin du Trecento, le développement de l’économie de crédit est tel à Florence que le problème de la valeur morale des affaires, de leurs modalités et de leurs limitations, devient urgent.12
                Initialement, l’usure est absolument prohibée par les théologiens ; or cette interdiction est en rupture avec les pratiques commerciales et industrielles qui se développent en Italie dès le xiiie siècle, en particulier à Florence où les marchands empruntent de l’argent pour développer leurs activités, font appel à l’épargne, font fructifier leur argent, etc. En 1343, la commune de Florence elle-même a converti les emprunts forcés en rentes perpétuelles et assuré à ses créditeurs en 1345 un revenu annuel de 5 % à titre de dommages et intérêts. Le souci des marchands, face à cette interdiction religieuse, s’exprime dans le Paradiso degli Alberti où l’on voit dialoguer à l’invitation de Niccolaio degli Alberti, grand marchand, plusieurs convives dans sa villa. L’un d’entre eux déclare ainsi :
                J’ai fréquemment considéré qu’en fonction du bien de la communauté et des particuliers, il est nécessaire que l’argent existe pour pourvoir à de nombreux besoins, qui sans lui seraient mal satisfaits, et je remarque aussi que chacun désire et veut être riche selon ses capacités. Aussi je vous demande de me dire combien il y a de procédés pour s’enrichir de façon honnête, et pourquoi l’usure est si sévèrement blâmée et prohibée par notre foi et par toutes les religions et les sectes en général.13
                Le discours théologique évolue cependant au Quattrocento. La figure d’Antonin est à cet égard particulièrement intéressante : il nie à la suite d’Aristote que l’argent puisse être productif, mais il accorde au capitaliste la possibilité de faire fructifier son capital grâce au labeur des autres. Il distingue différentes pratiques, condamnent certaines, en admet d’autres. Bernardin de Sienne est plus rigoureux dans sa condamnation, mais en même temps, il reconnaît l’importance et l’utilité des affaires et recommande de ne pas laisser des richesses inemployées. Selon Bec :
                Cette reconnaissance solennelle de la dignité des affaires prononcée dès le début du xve siècle par les religieux les plus avertis ne laissa sans doute pas les marchands indifférents. Elle témoigne en tout cas d’une indéniable prise de conscience de plusieurs de leurs problèmes spécifiques. Mais, d’une part, elle ne laisse pas le champ libre à certains trafics fort lucratifs qu’ils pratiquent de façon courante et, d’autre part, elle ne donne pas une réponse valable à tous leurs doutes. En vérité, elle ne peut satisfaire vraiment toutes leurs angoisses et leurs questions et elle vient trop tard, pour ainsi dire.14
                L’analyse de Baron se trouve donc corrigée sur la question du discours théologique de manière nuancée par celle de Bec. Ce discours évolue, mais de manière tardive. Bec suggère à ce propos que les marchands s’interrogent parallèlement, dans leurs propres termes, sur la question du statut moral de la poursuite des richesses. On pourrait être tenté de penser que ces termes propres, les marchands vont les chercher ailleurs que dans le discours théologique, celui-ci évoluant trop lentement ou trop tard à leur gré. De cette hypothèse à celle qu’ils trouvent chez Aristote de tels termes, il n’y a qu’un pas… qu’il ne faut pas franchir. Bec, d’ailleurs, ne propose rien de tel. Une telle hypothèse est tentante, mais fausse. Elle contribue à renforcer l’idée selon laquelle l’humanisme se conçoit dans une certaine mesure en rupture avec la religion. Charles Trinkaus et Heiko A. Oberman ont mis en garde contre une telle « athéisation » de l’humanisme15.
                L’étude réalisée par Claudette Perrus sur les notions de libéralité et de munificence permet de préciser le sens de cette mise en garde pour notre sujet. Elle montre que l’usage d’Aristote dans l’interrogation éthique sur les pratiques commerciales par les penseurs du Quattrocento est préparé par l’enseignement chrétien : « On peut constater, souligne-t-elle, dès l’origine une certaine convergence entre l’enseignement antique et l’enseignement chrétien. »16 Cela vaut, entre autres choses, à propos du mode d’acquisition des richesses et de leur usage, qui doit être fait au nom d’une générosité pleine de discernement, en vue du bien-être de la collectivité. Au cours des xiiie et xive siècles, cette convergence est exploitée et systématisée dans les écrits théologiques du Moyen Âge, « la connaissance directe d’Aristote » constituant alors « le comble de la modernité en matière de science morale »17. En particulier, Thomas d’Aquin va fixer la moyenne idéale entre avarice et prodigalité. Il existe une vertu de libéralité, distincte du geste de l’aumône, qui conduit l’individu à mettre ses richesses au service de sa patrie et des travailleurs. C’est pourquoi il serait erroné d’introduire une rupture radicale entre le discours religieux et le discours inspiré d’Aristote sur la question de la valeur morale des pratiques marchandes. L’écart peut exister çà et là. Mais il n’est pas total et il n’exclut pas des continuités sur d’autres points.

La glose : instrument de légitimation de la poursuite privée de la richesse


                Forts de cet arrière-plan, nous pouvons maintenant aborder l’argumentaire offert par le traité pseudo-aristotélicien l’Économique et sa glose. La question n’est pas celle de l’originalité éventuelle des arguments offerts par Bruni à travers ce travail au sein du débat sur la valeur morale et politique de la poursuite privée des richesses. Elle peut exister, mais l’établir exigerait une vaste étude, notamment une comparaison avec divers traités, Le Libro della famiglia d’Alberti et la Vita civile de Palmieri, pour ne citer que les plus connus des textes qui sont partie prenante de ce débat dans la première moitié du Quattrocento. En amont, elle est de toute façon relative puisque tant l’aspect moral que politique de la poursuite des richesses a déjà été envisagée auparavant. Nous nous intéressons plutôt à la manière dont la traduction et sa glose constituent une arme supplémentaire dans l’arsenal des penseurs qui légitiment du point de vue moral et politique la poursuite privée des richesses à Florence, contribuant ainsi au renforcement des liens entre la classe dirigeante et les marchands et à l’élaboration d’une pensée qui légitime théoriquement de tels liens. La taille même de l’opuscule, sensiblement égal à « l’opuscule » du Prince de Machiavel, tous deux des ouvrages de poche au sens propre du terme, à la différence de l’Éthique à Nicomaque et de la Politique, ne peut être négligée pour rendre compte de sa diffusion (il ne connaît pas moins de quinze éditions au cours du xve siècle). Mais l’argumentaire compte avant tout, et en particulier la manière dont Bruni donne une interprétation du texte traduit à travers sa glose. L’éclairage subtilement fourni par la glose à la traduction permet à Bruni de promouvoir indirectement la poursuite privée des richesses acquises par le commerce au nom de deux arguments, l’un moral et l’autre politique, qu’il associe d’ailleurs étroitement : la richesse, pour autant qu’elle soit bien acquise, donne les moyens de pratiquer les vertus, et de faire le bien autour de soi, à l’égard de sa famille, de ses amis et de la collectivité tout entière. L’argument moral et personnel apparaît en premier lieu. Dans la dédicace qu’il adresse à Cosimo de Médicis, il affirme qu’il était approprié de lui envoyer cet ouvrage traduit du grec, parce que Cosimo se trouvait à la tête d’une entreprise et d’un domaine hérités de sa famille18. Puis, dans le commentaire du livre I, chapitre 1, il insiste sur la différence, affirmée par Aristote, entre le gouvernement d’une famille et le gouvernement d’une cité, à la fois par la nature de leurs sujets et celle de leur gouvernant19. D’un côté, donc, la politique, de l’autre l’économie. Ces deux disciplines s’inscrivent, rappelle-t-il dans la dédicace, dans une série à trois termes : l’éthique qui enseigne à l’individu comment se conduire ; l’économie, qui enseigne comment administrer et gérer une maison ; la politique, enfin, qui enseigne comment diriger la cité. Cet ensemble triparti compose la branche de la philosophie dédiée à l’action20.
                À la lumière de la dédicace, il semble possible de dire que les frontières entre l’éthique et l’économie sont dans une certaine mesure poreuses pour Bruni. La richesse est décrite comme un moyen de pratiquer les vertus et de faire le bien autour de soi, et notamment de donner à ses enfants une bonne éducation. C’est là, rappelle Baron, son argument clé contre les stoïciens : la pratique des vertus est vaine sans moyens ; les stoïciens n’envisagent les êtres humains que comme des âmes, alors qu’Aristote les conçoit comme âme et corps et propose ainsi une vision satisfaisante de la pratique des vertus21. Bruni appuie son propos en citant un auteur approprié jusque-là par les stoïciens : Juvénal, qu’avait utilisé Brunetto Latini dans son Livre du trésor pour faire le portrait d’un homme terrorisé à l’idée de perdre ses possessions22. À ces deux raisons (pouvoir pratiquer les vertus et faire le bien autour de soi), il faut en ajouter une troisième, qui n’apparaît pas dans la traduction de l’Économique mais joue un rôle tout aussi important dans l’argumentaire anti-stoïcien développé par Bruni : dans le sillage de l’interprétation thomasienne d’Aristote, il affirme que l’une des conditions du bonheur, chez l’homme, est de pourvoir en biens l’âme, mais aussi le corps, et que cette fin est atteinte grâce à la poursuite des richesses23.
                Cependant, la relation entre politique et économie au sens brunien des termes s’avère plus complexe que la dédicace ne le laisse paraître. Dans le livre I, Aristote, après avoir distingué ces deux sphères, affirme que la cité se compose d’une multiplicité de maisonnées, suffisamment dotées en terres et en argent pour garantir à leurs habitants la « vie bonne ». Aristote rappelle que, dans le cas contraire, la cité va à sa ruine et que c’est en vue du bien-vivre qu’elle a été fondée. C’est définir ici une relation de solidarité entre la cité, conçue à partir de sa finalité, et la prospérité de chaque maisonnée. Aussi la frontière entre politique et économie s’avère-t-elle également poreuse puisque l’existence de la cité dépend de la capacité de chacun de bien gérer et administrer son domaine et des échanges de biens réalisés entre chaque maisonnée grâce à l’argent :
                Les êtres humains se réunissent dans une même communauté afin de recevoir en abondance de quoi bien vivre, comme nous l’avons dit plus haut, dans la mesure où, au sein d’une même communauté, ce qui manque à l’un, l’autre lui fournit. Puisque telle est la finalité poursuivie par les hommes qui se réunissent ensemble, et puisque la communauté se dissout si elle est dépourvue des éléments qui garantissent cette abondance, on peut dire que cette finalité est l’essence même de la cité. En effet, ils forment ce qui permet à la cité d’exister et de perdurer. Et l’essence de quelque chose réside dans ce qui lui permet d’exister et de perdurer.24
                En établissant cette relation entre la richesse privée et l’existence de la cité, Bruni suggère donc de manière implicite d’intégrer à la réflexion politique la question de la richesse privée. Il lui apparaît nécessaire au gouvernant de l’envisager du point de vue de ses effets sociaux, à l’échelle macroéconomique, dirions-nous aujourd’hui. Cela signifie que le comportement privé qui consiste à poursuivre les richesses ne peut plus être seulement envisagé d’un point de vue moral. Il doit l’être aussi d’un point de vue politique, c’est-à-dire des conditions d’existence, de maintien et de puissance de la cité. Pour Bruni, le gouvernant a tout intérêt à favoriser la poursuite privée de la richesse, afin de garantir à sa cité les conditions de sa prospérité et de sa richesse.
                Comme je l’ai indiqué plus haut, Bruni s’inscrit dans une chaîne qui, de Salutati à Landino, témoigne à Florence de la volonté de promouvoir la poursuite privée des richesses, en tant que celle-ci permet de mettre en pratique les vertus, de faire le bien autour de soi et de contribuer au bien-être collectif. Pour Bruni, cette dimension implique à Florence une relation particulière entre les marchands et le gouvernement, leurs fortunes privées et le budget public.
                C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre le commentaire qu’il propose de l’orientation agricole du traité pseudo-aristotélicien. Bruni traduit un texte qui relève du genre de la didactique et s’adresse à l’homme en tant que travailleur (et en tant qu’époux, au livre II, mais c’est là une autre question). Les Travaux et les Jours d’Hésiode, l’Économique de Xénophon, les Géorgiques de Virgile, les traités sur l’agriculture de Caton, de Varron, de Columella, de Palladius et des passages de l’Histoire naturelle de Pline relèvent du même genre. Or ils traitent avant tout du travail de la terre. Albert D. Menut, qui a réalisé l’édition critique de la traduction par Oresme du traité pseudo-aristotélicien, souligne qu’il en va de même pour leurs héritiers : l’Hortulus du moine allemand Walafrid Strabo, divers traités rédigés dans le royaume de France aux xiiie et xive siècles, dans le contexte du développement des grands domaines féodaux et le Della famiglia d’Alberti (1445)25.
                L’Économique pseudo-aristotélicienne témoigne aussi de cette orientation agricole en indiquant que la maisonnée se compose d’êtres humains et de propriété, et en premier lieu d’une maison, d’une femme et d’un bœuf pour travailler la terre26. Or que fait Bruni à cet égard ? Il précise par la suite que la possibilité d’acquérir de manière vertueuse une fortune n’est pas réservée aux agriculteurs, mais peut caractériser d’autres métiers. On remarque la formulation délibérément très vague, qui permet d’éviter le débat sur la nature bonne ou mauvaise de l’acquisition, et donc la question de l’usure. L’important ici est de légitimer le commerce et de lui donner une place au moins égale à l’agriculture :
                Il [Aristote] préférait l’agriculture aux autres façons de faire du profit, puisqu’une telle activité est juste, et ne repose pas sur le fait d’extorquer un bénéfice aux autres contre leur volonté, et que sa pratique conduit à la vertu. Le même principe s’applique aux autres façons de faire du profit ; réaliser un profit peut être fait honorablement et sans dommage pour quiconque, parce que l’accroissement de son patrimoine, pourvu que cela ne suscite pas de dommage pour autrui, mérite toujours la louange. Tel est le talent que le maître de la maisonnée devrait posséder plus que tout autre, celui de faire fructifier son domaine et tout autre genre d’affaire.27

Sens et portée du traité dans l’histoire florentine


A posteriori, le commentaire du traité pseudo-aristotélicien par Bruni s’avère en retrait par rapport à ce qui deviendra, à la fin des années 1420, une véritable politique de la part du gouvernement florentin à l’égard des grosses fortunes privées : à savoir une forte contribution au budget public. Dans cet opuscule, Bruni se place plutôt du côté des marchands, fournissant une légitimation à leur activité et les invitant à contribuer au bien-être collectif en subventionnant des événements publics, tels que les banquets publics, les jeux de cirque et les combats de gladiateurs de l’Antiquité28. En 1427, l’année où Bruni devient chancelier de la cité, le gouvernement établit le catasto – recensement de tous les biens du territoire toscan29 – et met en œuvre une réforme fiscale qui témoigne du « souci de faire concourir, dans la mesure exacte de ses moyens, l’individu au bien collectif »30 et lie étroitement le gouvernement florentin aux grosses fortunes privées. Leonardo Bruni a d’ailleurs tout à fait compris les implications politiques d’une telle évolution de la politique fiscale, c’est-à-dire le passage du gouvernement populaire communal à un gouvernement aristocratique :
                Autrefois [c’est-à-dire à l’époque du gouvernement populaire au xiiie siècle], le popolo prenait généralement les armes et menait lui-même la guerre. Comme la ville était fort peuplée, elle réduisit presque tous ses voisins. Aussi le pouvoir dans la cité reposait-il d’abord sur le nombre, et pour la même raison, le popolo réussit-il à exclure presque tous les nobles du gouvernement. Avec le temps, cependant, la conduite des opérations militaires passa plus souvent à des soldats mercenaires. Alors, le pouvoir dans la cité parut reposer non plus sur la foule, mais sur les patriciens et sur les riches qui pouvaient apporter de l’argent au gouvernement et dont les conseils le servaient mieux que les armes. C’est ainsi que le pouvoir populaire s’effrita peu à peu et que le gouvernement prit la forme que nous lui connaissons.31
                De ce fait, on ne s’étonnera pas de voir apparaître, dans les éloges de Florence et dans la correspondance de chancellerie de Bruni, une défense systématique de l’activité commerciale. Dans la Laudatio, il souligne les talents et les mérites des citoyens florentins et parmi ceux-ci figurent les qualités de marchands et de commerçants, qui leur permettent d’accumuler des fortunes personnelles et d’en faire profiter la collectivité32. L’oraison reprend cette perspective, en louant la diaspora florentine à travers l’Europe, et les qualités proprement florentines, c’est-à-dire le zèle, l’ardeur au travail, la rapidité et l’habileté dans l’action, la grandeur d’âme, la capacité à faire face aux retournements de la fortune. C’est grâce à elles que les Florentins rencontrent le succès dans le gouvernement de l’État, la conduite de la guerre, mais aussi dans l’administration domestique et la gestion des affaires33.
                Paolo Viti a par ailleurs mis en évidence, dans son étude de la correspondance de Bruni, l’importance qu’il accorde aux commerçants en tant que gouvernant de Florence. Comme Salutati, il estime que les commerçants doivent être protégés et défendus parce que la richesse qu’ils accumulent rend possibles l’exercice des vertus et le bonheur privé, ainsi que l’opulence et la grandeur de la cité34. Dans la perspective de Bruni, les commerçants jouent un double rôle essentiel dans la vie politique de la cité : d’une part, ils favorisent la paix, à travers leur pratique de la négociation (l’activité commerciale, le « négoce », est ici présentée dotée d’une vertu pacificatrice) ; le négociant est aussi un négociateur qui parcourt le monde ; d’autre part, en temps de guerre, les commerçants permettent d’assurer une bonne défense de la cité grâce à l’argent accumulé35. De facto, dans l’exercice de ses responsabilités politiques à Florence, il a défendu de manière récurrente les intérêts des commerçants florentins dispersés sur le territoire européen36.
                La traduction et la glose du traité pseudo-aristotélicien l’Économique n’en restent pas moins une contribution au débat sur la valeur morale et politique de la poursuite privée des richesses. Bruni tranche en faveur des commerçants, sans se confronter directement aux arguments opposés à leur pratiques, mais en proposant – quitte à donner une interprétation tendancieuse du texte – une légitimation totale de la poursuite du profit économique, au sens où elle implique à la fois l’homme privé et le citoyen, et une justification immanente à celle-ci, puisque cette poursuite trouve sa finalité, selon Bruni, dans une jouissance terrestre, à la fois dans la sphère privée et dans la sphère sociale et politique. L’intérêt économique et politique porté par Bruni au commerce le distingue d’Alberti, qui, vingt ans plus tard, perpétue, au livre III du Libro della famiglia, la figure du καλòς καγαθòς tracée par Xénophon dans son Économique : la villa, plutôt que le palais en ville ; l’agriculture, plutôt qu’un métier urbain ; une vie de lettré retirée loin de l’agitation du monde plutôt que l’engagement dans la vie active, bien que le livre III témoigne, comme chez Bruni, de la nécessité de l’engagement civique. Tels sont les choix faits par Alberti, qui s’éloigne ainsi de la perspective de Bruni37.
                L’idée selon laquelle la richesse peut être poursuivie de manière vertueuse au-delà du cadre de la vie agraire n’a pas seulement vécu dans l’œuvre de Bruni, mais elle reste affirmée par lui de manière originale. Ainsi, elle est reprise une dizaine d’années après la traduction du traité pseudo-aristotélicien par Matteo Palmieri, dans sa Vita civile38. Palmieri affirme également l’idée selon laquelle les biens et les richesses permettent la pratique des vertus (il reprend la même formule de Juvénal que Bruni a employée) et développe une notion de l’utile qui inclut le mariage, l’amitié, la santé, mais aussi l’argent et les biens, et pour une cité, un site géographique favorable, une armée puissante, des édifices publics et des richesses. Cet aspect, qu’a souligné Baron39, est cependant contrebalancé, dans la Vita civile, par une approche stoïcienne de la question. Palmieri met aussi en avant la vertu de tempérance et la justice en ce qu’elle donne ou rend à chacun ce qui lui revient, insiste sur l’utilité commune, en vue de laquelle tout est créé, engendré, produit, valorise le mépris des biens et de la richesse40. Chez Palmieri, la poursuite privée de la richesse fait donc l’objet d’un jugement très nuancé : la possibilité d’acquérir et d’utiliser une fortune de manière vertueuse est reconnue, mais le mode de vie frugal est préféré à tout autre. Enfin, alors que Bruni vante les effets positifs du commerce en temps de paix comme en temps de guerre, Palmieri formule la critique que l’on retrouvera par la suite chez Machiavel, celle du citoyen qui recherche la richesse au détriment du bien public et contre lequel il faut prendre des mesures. Cincinnatus et Marco Valerio Corumo sont, a contrario, cités en exemple comme bons citoyens, parce qu’ils retournent cultiver leurs terres après la guerre (on verra réapparaître Cincinnatus chez Machiavel)41.

Conclusion

Dans une longue note polémique de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme42, Max Weber s’en prend à ceux qui affirmeraient l’existence d’un esprit du capitalisme dans l’Antiquité et au Moyen Âge. Pour contrecarrer cette affirmation, Weber fait référence au Libro della famiglia d’Alberti, à partir duquel il n’a aucun mal à démontrer le caractère erroné de la thèse adverse :
Le rationalisme économique d’Alberti, en tout lieu étayé par des citations d’écrivains antiques, trouve son équivalent le plus proche dans la manière dont sont traités les sujets économiques dans les écrits de Xénophon (qu’il ne connaissait pas [c’est faux]), ou ceux de Caton, de Varron et de Columelle (qu’il cite) – à cela près que, tant chez Caton que chez Varron, l’activité lucrative comme telle occupe le devant de la scène beaucoup plus que chez Alberti. Pour le reste, les développements évidemment très occasionnels, d’Alberti, sur l’utilisation des fattori <régisseurs>, la division de leur travail et leur discipline, sur le caractère peu fiable des paysans, etc., donnent en réalité tout à fait l’impression d’être la reprise d’une sagesse pratique catonienne, transposée du domaine de l’exploitation agricole qui repose sur les corvées serviles à celui du travail libre dans le cadre de l’industrie à domicile et dans celui de l’agriculture partiaire.43
On peut regretter que Weber n’évoque pas, dans cette note, Bruni. Peut-être ne connaissait-il pas son traité ou n’y avait-il pas accès. Sa lecture ne l’aurait certainement pas conduit à mettre en doute sa propre thèse. Néanmoins, elle lui aurait permis d’évoquer un auteur qui assume plus pleinement la dimension de la recherche du profit et de l’acquisition qu’Alberti, et voit en elle le moyen de s’accomplir de manière totale (c’est-à-dire privée et publique) en tant qu’homme. Dans le commentaire du livre I, chapitre 6, Bruni insiste en effet tout d’abord sur la nature des qualités du maître de la maisonnée : son premier devoir est de poursuivre le profit, et son second, de le conserver. Il doit être habile et rapide dans l’acquisition ; il doit avoir souci de conserver le profit, sans quoi l’accomplissement de son premier devoir serait vain44.
La finalité de cette activité est ensuite clairement mise en évidence. Si la perspective morale n’est pas perdue de vue, Bruni s’attache avant tout, dans son commentaire, à mettre en avant le confort de vie générée par elle à la fois pour la personne privée et le citoyen : l’homme sera en mesure d’entretenir sa maisonnée dans de bonnes conditions, d’avoir du personnel, des meubles, des chevaux, des vêtements à satiété. Le profit accumulé lui permettra également d’être généreux à l’égard de ses amis et de patronner des événements publics45. Autrement dit, la richesse rend possibles une vie dans l’aisance et la reconnaissance sociale. C’est pourquoi d’ailleurs, selon Bruni, le maître de la maisonnée ne doit pas seulement savoir accumuler du profit et le conserver ; il doit aussi être en mesure de le convertir en éléments de son bien-être. L’avarice et l’incapacité à jouir de ses biens sont ici dénoncées fortement. C’est ainsi que, sans vocation au sens religieux du terme, on a là une légitimation de la poursuite du profit économique totale, au sens où elle implique à la fois l’homme privé et le citoyen, et une justification immanente à celle-ci, puisque cette poursuite trouve sa finalité dans une jouissance terrestre, à la fois dans la sphère privée et dans la sphère sociale et politique. Nous sommes ici aux antipodes d’une « éthique à ancrage religieux » qui attache « au comportement qu’elle suscite des récompenses psychologiques (à caractère non économique) tout à fait déterminées »46. Bruni propose une éthique sans ancrage religieux, qui met en avant l’accomplissement de l’être à la fois privé, domestique, social et politique, au cours de son existence même, et non dans l’au-delà47.
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Notes
1 Bruni traduira ensuite le livre III (qu’il intitule livre II).
2 Ces indications sur la composition des trois livres et la date de leur rédaction sont données par G. Griffiths, J. Hankins et D. Thompson, The Humanism of Leonardo Bruni, New York, Binghamton (Medieval & Renaissance texts & studies), 1987. Voir aussi H. Baron, « The genesis of Bruni’s annotated latin version of the (pseudo-)aristotelian Economics (1420-1421) », Humanistic and political literature in Florence and Venice at the Beginning of the Quattrocento, Cambridge, Harvard University Press, 1955, p. 166-172.
3 Voir P. Viti, Leonardo Bruni e Firenze. Studi sulle Lettere pubbliche e private, Rome, Bulzoni editore, 1992, p. 197-201. P. Viti offre un portrait beaucoup plus nuancé que celui proposé par H. Baron de Coluccio Salutati, dont les lettres de chancellerie témoignent de sa préoccupation à l’égard des marchands de sa cité et affirment l’idée que le commerce est favorable à la paix.
4 En français : Économique, éd. B. A. von Groningen et A. Wartelle, trad. A. Wartelle, Paris, Les Belles Lettres, 1968 (cette édition a fait l’objet d’une recension critique de H. Goldbrunner dans Gnomon, n° 42, 1972, p. 336-339) ; Les Économiques, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1958. Il en existe une traduction anglaise par E. S. Forster, Oeconomica, Oxford, Oxford University Press, 1920.
5 C. Bec, Les marchands écrivains à Florence, 1375-1434, La Haye - Paris, Mouton & Co - EPHE, 1967, p. 444.
6 H. Baron, In Search of Florentine Civic Humanism, Essays on the Transition from Medieval to Modern Thought, I et II, Princeton, University Press, 1988.
7 Thomas d’Aquin : « 1. Les biens temporels ne doivent pas faire l’objet principal de nos recherches, mais venir au second plan […]. 2. On n’interdit pas tout souci des biens temporels, mais le souci superflu et désordonné, nous l’avons déjà dit. 3. Lorsque notre âme vise les biens temporels pour se reposer, elle s’y abaisse. Mais quand elle les vise en vue d’obtenir la béatitude, loin de se trouver rabaissée par eux, elle les relève », Somme théologique, tome 3, II-II, question 83, article 6, « solutions », Paris, Cerf, 1985, p. 526.
8 Thomas d’Aquin : « Selon les stoïciens, pour qui les biens temporels n’étaient pas des biens de l’homme, il s’ensuivait que les maux temporels n’étaient pas des maux de l’homme et par conséquent n’inspiraient aucune crainte. Mais selon saint Augustin, ces biens temporels sont des biens, quoique d’un ordre inférieur. Ce qui était aussi l’opinion des péripatéticiens. C’est pourquoi on doit craindre ce qui s’y oppose, mais pas au point de s’écarter à cause d’eux de ce qui est bon selon la vertu », ibid., tome 3, II-II, question 126, article 4, « solutions », p. 753. Voir aussi, à propos des véritables motifs de la tristesse, la critique des stoïciens au tome 2, I, II, question 59, article 3, et au tome 3, II-II, question 83, article 6, « solutions », p. 362-363.
9 H. Baron, In Search of Florentine Civic Humanism, op. cit., p. 202-203.
10 Voir les lettres adressées par Boccace à Pino de’ Rossi et son De casibus virorum illustrium, dans La letteratura italiana : storia e testi, n° 9, 1965.
11 Voir aussi, à propos de ce contexte, R. Esposito, « La trattistica politica », Manuale di letteratura italiana. Storia per generi e problemi, II, Dal Cinquecento alla metà del Settecento, Turin, Bollati Boringhieri, 1994, p. 556 ; « Il posto’ del re. Metafore spaziali e funzioni politiche nell’idea di “Stato misto” da Savonarola a Guicciardini », Il Centauro, n° 11-12, mai/décembre 1984 ; et J. Coleman, « Propriété et pauvreté », A History of Political Thought, vol. II, Oxford, Blackwell, 2000, p. 574-614. Enfin, pour les sources de l’Antiquité et de la période médiévale, on peut consulter à titre introductif G. Barbieri, Fonti per la storia delle dottrine economiche, dall’antichità alla prima scolastica, Milan, Marzorati, 1958.
12 C. Bec, Les marchands écrivains à Florence, op. cit., p. 254.
13 Paridiso degli Alberti, ritrovi e ragionamenti del 1839, éd. A. Wesselofski, Bologne, Romagnoli, 1867, 3 volumes, vol. III, p. 155-156.
14 C. Bec, Les marchands écrivains à Florence, p. 268.
15 C. Trinkaus et H. A. Oberman dir., The Pursuit of Holiness in Late Medieval and Renaissance Religion, Leiden, E. J. Brill, 1974.
16 C. Perrus, Libéralité et munificence dans la littérature italienne du Moyen Âge, Pise, Pacini editore, 1984, p. 14.
17 Ibid., p. 14.
18 Aristote, Contenta : Politicorum (Aristotelis) libri octo ; commentarii (Jacobi Fabri Stapulensis in eosdem) ; Economicorum duo ; Commentarii (Fabri) ; Hecatonomia Septem ; Economiarum publicarum unus ; Explanationes Leonardi (Aretini) in Oeconomica duo, Paris, H. Stephani, 1506, p. 126. La dédicace est éditée par H. Baron, Leonardo Bruni, Humanistich-Philosophishce Schriften, mit einer Chronologie seiner Werke und Brief, Leipzig-Berlin, B. G. Teubner, 1928, p. 120-121.
19 Ibid., p. 127.
20 Ibid., p. 126.
21 H. Baron, « Franciscan poverty and Civic Wealth », Speculum, t. XIII, 1938, p. 21.
22 Ibid., p. 20.
23 Ibid., p. 21.
24 Aristotelis opera, vol. 3, Venise, 1560. C’est l’édition utilisée par G. Griffiths et al., The Humanism of Leonardo Bruni, op. cit. Une autre édition présente les mêmes idées, mais pas les mêmes formulations : Aristote, Contenta, op. cit.
25 A. D. Menut (éd.), Maistre Nicole Oresme : Le Livre de Yconomique d’Aristote, critical edition of the French Text from the Avranches Manuscript, with the Original Latin Version of William of Moerbeke, Philadelphie, American Philosophical Society, 1957.
26 Aristotelis opera, op. cit.
27 Ibid.
28 Commentaire du chapitre 6.
29 D. Herlihy et C. Klapisch-Zuber, Les Toscans et leurs familles, une étude du catasto florentin de 1427, Paris, Éditions de l’EHESS, 1978. En 1427, la commune de Florence entreprend un recensement détaillé de la population tout entière qui se trouve soumise à son autorité directe et une description exhaustive de ses biens. Ce document est le catasto. Il est conservé aux archives de Florence et de Pise (il dénombre environ 60 000 feux et plus de 260 000 personnes, les biens meubles et immeubles).
30 Ibid., p. 12.
31 Leonardi Aretini De Florentinorum republica, trad. B. Moneta, dans Philippi Villani Liber de civitatis Florentiae famosis civibus…, éd. G. C. Galletti, Florence, 1847, p. 96.
32 L. Bruni, Laudatio florentine urbis, dans Opere letterarie e politiche, éd. P. Viti, Turin, UTET, 1996, p. 644.
33 L. Bruni, Oratio in funere Iohannis Strozze, ibid., p. 721.
34 Voir, à propos de Salutati et des archives de sa chancellerie, Daniela De Rosa, Coluccio Salutati, il cancelliere e il pensatore politico, Florence, La Nuova Italia, 1980, chapitre 3.
35 P. Viti cite dans son introduction aux Opere letterarie e politiche de Bruni deux lettres, celle du 11 novembre 1429, adressée au duc de Milan, et celle du 15 février 1430, adressée au gouverneur de Fermo. Le chapitre qu’il dédie au commerce et aux marchands dans Leonardo Bruni e Firenze, op. cit., présente un riche ensemble de témoignages épistolaires à ce sujet.
36 Voir Leonardo Bruni e Firenze, p. 208-219.
37 Xénophon : « Puis nous avons jugé que, pour un homme bien, il n’y avait pas de travail ni d’art supérieur à l’agriculture, d’où les hommes tirent leur subsistance. Ce travail, nous semblait-il, est le plus facile à apprendre et le plus agréable à pratiquer ; il donne à notre corps la plus grande beauté et la plus grande vigueur ; il laisse à notre esprit la liberté de nous occuper aussi de nos amis et de notre cité. Nous jugions aussi que l’agriculture contribue à stimuler la bravoure de ceux qui la pratiquent, en faisant pousser, en nourrissant hors des remparts ce qui sert à notre subsistance. C’est pourquoi ce genre de vie est particulièrement honoré par les cités. Il semble former les citoyens les meilleurs et les plus dévoués à la communauté », Économique, VI, 8-10, éd. et trad. P. Chautraine, Paris, Les Belles Lettres, 1949, p. 56-58. Pour Alberti, voir Libro della famiglia, éd. R. Romano et A. Tenenti, nouvelle édition préparée par F. Furlan, Turin, Einaudi, 1994 ; et G. Ponte, « Etica ed economica nel terzo libro Della famiglia di Leon Battista Alberti », Studies in Honor of Hans Baron, A. Molho et J. A. Tedeschi dir., Dekalb (Illinois) - Florence, Northern University Press - Sansoni editore, 1971. G. Ponte souligne la dimension stoïcienne de la pensée d’Alberti, et renvoie au De commodis et incommodis litteratum, dans lequel Alberti trace son idéal de l’homme lettré. Alors que la ville corrompt, la vie agraire engage à la vertu ; la richesse ne doit pas être recherchée pour elle-même ; elle doit être épargnée et dépensée avec mesure.
38 Matteo Palmieri, Vita civile, IV, éd. G. Belloni, Florence, Sansoni editore, 1982, p. 153 et suiv.
39 H. Baron, « Franciscan poverty and Civic Wealth », op. cit., p. 23.
40 Voir Vita civile, p. 52 ; et pour la tempérance, livre II, pour la justice, livre III.
41 Ibid. p. 173 et suiv.
42 M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad. J.-P. Grossein, Paris, Gallimard (Tel), 2003.
43 Ibid., p. 32.
44 Aristotelis opera, op. cit.
45 Ibid.
46 M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, op. cit., p. 33-34.
47 Outre Éric Marquer, organisateur de la journée d’étude « Le philosophe et le marchand », je remercie Antony McKenna, organisateur de l’école thématique « Philosophie et philologie » (8-11 septembre 2004, ENS Lettres et sciences humaines), sous la direction duquel j’ai effectué mon post-doctorat, de 2002 à 2005, au CNRS, dans l’UMR 5037 d’histoire de la pensée classique. Il m’a permis de présenter et de discuter l’interprétation proposée dans une version liminaire de ce texte. Je remercie aussi Jean-Louis Fournel, pour ses remarques stimulantes.

À propos de Marie Gaille-Nikodimov
L’auteur est philosophe, chargée de recherche au CNRS. Elle travaille au Centre de recherche sens, éthique et société (CERSES)et est membre associée du Centre d’études en rhétorique, philosophie et histoire des idées(CERPHI). Elle a publié Le citoyen (GF Corpus, 1998), Le Prince de Machiavel (traduction, présentation et notes, Le Livre de Poche, 2000), Conflit civil et liberté. La politique machiavélienne entre histoire et médecine (Champion, 2004), Machiavel (une biographie chez Tallandier, 2005), coordonné avec T. Ménissier Lectures de Machiavel (Ellipses, 2005) et coécrit avec C. Crignon-De Oliveira À qui appartient le corps humain ? Médecine, politique et droit (Les Belles Lettres, 2004).