5 mars 1953.
Mort de Staline
(www.herodote.net)  

Staline s'éteint le 5 mars 1953 dans sa datcha de Kountsevo, dans les environs de Moscou.

Quelques jours plus tôt, le vendredi 28 février, assistant à une représentation du Lac des Cygnes au Bolchoï, le dictateur avait dû se retirer avant la fin de la représentation. Il n'avait pas reparu depuis.

Le dictateur, que la propagande communiste surnommait le «petit père des peuples», avait 73 ou 74 ans.

L'annonce de sa mort, le lendemain matin, fige le monde entier dans la stupeur, la désolation et un vague soulagement.

En URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) comme dans les pays inféodés et dans toutes les organisations communistes ou «progressistes» du monde entier, elle donne lieu à des manifestations de deuil ostentatoires de la part des officiels.

Ses obsèques, le 9 mars suivant à Moscou, donnent lieu à des scènes d'hystérie collective qui entraînent la mort de plusieurs centaines de badauds, piétinés ou étouffés.

Le siège parisien du parti communiste est entièrement drapé de noir.

L'admiration pour le dictateur n'est pas cantonnée aux fidèles communistes. Elle s'étend à la quasi-totalité de l'opinion publique ! A la Chambre des députés, à Paris, le Président du Conseil Edouard Herriot réclame une minute de silence en mémoire du vainqueur de Hitler et du modernisateur de l'URSS. Seuls deux députés refusent de se lever.

Cependant, les Soviétiques ordinaires cachent mal leur appréhension après une longue période d'oppression comme jamais l'ancienne Russie n'en avait connue.

Un révolutionnaire hors du commun

Joseph Djougatchvili (plus tard surnommé Staline, l'homme d'acier en russe) est né à Gori, une petite ville au coeur de la Géorgie, le 6 décembre 1878 (selon le calendrier julien).

Son père est un savetier misérable et illettré, à peine libéré du servage, remarié sur le tard à une jeune cousine. Alcoolique et violent, il bat fréquemment sa femme et ses enfants, y compris le petit Joseph. Il meurt en 1890 au cours d'une rixe entre ivrognes (sa femme vivra quant à elle jusqu'en 1936).

Joseph entre au séminaire de Tbilissi (ou Tiflis) car c'est le seul moyen d'ascension sociale qui lui soit accessible. Il s'y initie en secret aux idées révolutionnaires et au marxisme. Son indiscipline lui vaut d'être chassé de l'établissement sans diplôme en 1899.

Militant dans le nouveau parti bolchevique sous le pseudonyme de Koba (un héros de la littérature russe), il est exilé en Sibérie pour avoir incité des ouvriers à la grève.

De retour à Gori, il épouse le 22 juin 1904 une jeune paysanne de 15 ans et reprend sans attendre ses activités militantes dans la clandestinité (sa première épouse meurt en 1906).

Le 25 décembre 1905, sa première rencontre avec Lénine quelque part en Finlande, à l'occasion d'un congrès panrusse, fait de lui un professionnel de la révolution.

En mai 1907, Koba assiste au congrès du parti social-démocrate russe à Londres. Cela se passe peu avant que les bolcheviques groupés autour de Lénine ne rompent avec les autres sociaux-démocrates, les mencheviks groupés autour de Martov.

Pour les besoins de la cause, Lénine, peu après, confie à Joseph Djougatchvili le soin de mener des opérations de grand banditisme dans la région du Caucase (les bolcheviques utilisent pour désigner ces hold-up le délicat euphémisme d'«expropriations»). L'objectif est de remplir les caisses du parti bolchevique.

C'est ainsi que le 13 juin 1907, des hommes déguisés en faux policiers attaquent un fourgon de fonds à Tiflis, tuant de nombreux cosaques et policiers. Quelques mois plus tard, le menchevik ne se prive pas de dénoncer ces hold-up et lance des accusations publiques contre le futur Staline.

C'est seulement en 1912 que ce dernier accède au Comité central du parti, aux côtés de Lénine. L'année suivante, il adopte son pseudonyme définitif : Staline (qui peut se traduire par L'homme d'acier).

Il est arrêté cette année-là et exilé en Sibérie jusqu'à la Révolution de Février, en 1917.

Libéré, il prend la direction de la Pravda, le journal du parti bolchevique. Après la Révolution d'Octobre, qui consacre le pouvoir sans partage des bolcheviques, il devient commissaire du peuple (ou ministre) aux nationalités. C'est à 39 ans le début d'une deuxième vie.

Vers la Grande Terreur

Pendant la guerre civile, en août 1918, Staline épure sans faire de quartier la ville de Tsaritsyne, qui portera plus tard son nom : Stalingrad ! En Géorgie, il réprime aussi sans pitié les menées autonomistes.

Il ne néglige pas de se remarier en 1918 avec, cette fois, une jeune fille de 17 ans. Celle-ci, prénommée Nadejda, se suicidera en 1932 après lui avoir donné deux enfants, Svetlana et Vassili.

Homme de terrain n'ayant aucun goût pour la théorie, Staline devient en 1922 le secrétaire général du Comité central. En apparence, il ne s'agit que d'une fonction administrative.

A l'usage, elle va se révéler d'une importance décisive par le pouvoir qu'elle donne à son titulaire de nommer et de déplacer les cadres du parti.

Pendant la maladie de Lénine, Staline consolide sa position et se prépare à éliminer ses rivaux. Il cache les documents dans lesquels Lénine fait état de ses doutes à l'égard de son adjoint : «Le camarade Staline, en devenant secrétaire général, a concentré dans ses mains un pouvoir immense, et je ne suis pas convaincu qu'il puisse toujours en user avec suffisamment de prudence», écrit le chef à l'agonie en décembre 1922.

Après la mort de Lénine, il se place habilement entre la gauche du parti, menée par Trotski, qui veut poursuivre l'industrialisation du pays à marches forcées et préparer la révolution mondiale, et la droite, menée par Boukharine, qui souhaite lâcher du lest pour rallier la paysannerie et les artisans au régime. Ceux-là souhaitent poursuivre la NEP (Nouvelle Politique économique) lancée par Lénine.

Staline, réaliste, prend le contrepied du doctrinaire Trotski et prône «le socialisme dans un seul pays». Allié dans un premier temps à Boukharine, il oblige Trotski à quitter ses fonctions de commissaire du peuple à la guerre. Les autres chefs de la gauche, Zinoviev et Kamenev, sont à leur tour chassés lors du congrès du parti communiste de décembre 1927.

A peine la gauche est-elle éliminée que Staline enfourche ses thèses. Fin politique, il comprend en effet que la libéralisation économique, si elle perdure, risque de ruiner l'autorité du parti unique, le Parti communiste.

«Staline avait compris la nature totalitaire du régime qui, déjà sous Lénine, reposait sur le principe du parti unique, de l'idéologie communiste obligatoire et de l'autorité incontestée du chef». Dans le droit fil de Lénine, il lance en 1928 un premier plan quinquennal. Le 6 janvier 1930, il met officiellement fin à la NEP et décide de nationaliser l'agriculture, au prix de plusieurs millions de morts.

Bouhkharine et ses partisans, obligés de s'expliquer devant les représentants du parti réunis en congrès, sont contraints de s'effacer.

A mesure qu'il renforce son autorité sur le parti et le pays, Staline se sent obligé de traquer de plus en plus loin l'opposition virtuelle.

C'est ainsi qu'il organise de grands procès publics pour dénoncer ses opposants supposés.

Le 1er décembre 1934, Kirov, secrétaire général du parti pour la région de Léningrad (ex-Saint-Pétersbourg), est assassiné, peut-être à l'instigation de Staline ! Qu'à cela ne tienne, ce dernier prend prétexte de l'assassinat pour dénoncer les menées trotskistes. Il fait arrêter Zinoviev, Kamenev et beaucoup d'autres qui sont jugés puis exécutés en avril 1936 au cours du procès des «seize».

En janvier 1937 a lieu le procès des «seize» puis en juin de la même année, le procès du prestigieux maréchal Toukhatchevski et de nombreux généraux. En mars 1938, le procès des «vingt et un» a raison de Boukharine et Rykov.

Les procès gagnent en ampleur jusqu'en 1938. Ils se soldent par la liquidation de presque tout l'état-major de l'Armée rouge, cela à la veille du deuxième conflit mondial !

Les accusés de ces différents procès n'hésitent pas à revendiquer des fautes imaginaires qui leur valent immédiatement la mort par balle. Ils agissent en partie sous l'effet de tortures et de menaces relativement à leurs proches, en partie parce qu'ils ont la conviction de participer ainsi au sauvetage du pouvoir communiste !

Les étrangers applaudissent eux-mêmes aux sentences iniques et sans preuves. En France, la Ligue des droits de l'Homme, qui s'était illustrée dans la défense d'Alfred Dreyfus, n'y voit rien à redire dès lors que les accusés se reconnaissent publiquement coupables !

Si les dirigeants ont droit à des procès à grand spectacle avant de mourir, les citoyens ordinaires doivent se contenter de condamnations en catimini. Ils sont plusieurs millions à subir ce sort et peu reviendront des camps de concentration.

Staline ne se prive pas par ailleurs de faire déporter des populations entières d'un endroit à l'autre du pays dans l'espoir d'en finir avec les particularismes nationaux. Ces déportations vont prendre un tour systématique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le choc des titans

Le régime soviétique se flatte malgré la Grande Terreur d'industrialiser le pays et de répandre l'éducation dans toutes les couches de la société, au point de susciter l'admiration de nombreux Occidentaux.

En politique étrangère, peu désireux de faire les frais de l'expansionnisme allemand, le dictateur se laisse entraîner dans un pacte de non-agression avec Hitler.

Hitler ayant unilatéralement rompu le pacte en envahissant l'URSS le 22 juin 1941, Staline appelle les Soviétiques à lui résister et réveille le nationalisme grand-russe.

Le sacrifice au combat de plus de 13 millions de Soviétiques et la victoire de Stalingrad vaudront au dictateur le respect des dirigeants occidentaux en dépit de ses crimes innombrables.

Succession difficile

A peine le dictateur est-il mort que ses subordonnés se partagent le pouvoir.

Malenkov, Beria et Molotov constituent un triumvirat informel. Le premier devient président du Conseil des ministres et du présidium, ainsi que secrétaire général du parti; le second, maître de la police, s'attribue la vice-présidence du Conseil des ministres et surtout le ministère des Affaires intérieures et de la Sécurité d'État; le dernier conserve les Affaires étrangères.

L'autorité réelle revient à Beria qui, dès le 10 mars, au lendemain des funérailles, annonce une amnistie pour tous les condamnés à moins de cinq ans de prison, soit un million de personnes !

Le 4 avril, la police de Beria révèle le «complot des blouses blanches» : en janvier de la même année, Staline avait fait arrêter les médecins juifs de son entourage et s'apprêtait à lancer une vaste campagne antisémite ! Beria fait libérer les médecins et admet que les médecins avaient avoué sous la torture.... Pour les croyants communistes, c'est la stupeur. Si les aveux des médecins avaient été extorqués, quid des aveux des accusés antérieurs ? Le doute s'installe...

On pourrait croire que le régime est en voie de s'adoucir. L'écrivain Ilya Ehrenbourg parle de «dégel» pour qualifier les mois d'effervescence qui suivent la mort de Staline. Le mot fait florès.

Mais l'agitation gagne les camps de Sibérie et surtout les pays soumis au joug soviétique. Le 17 juin 1953, profitant de ce début d'accalmie, les ouvriers allemands manifestent en masse à Berlin-Est. Leur manifestation est sauvagement réprimée par le pouvoir aux ordres des Soviétiques.

Pour l'entourage de Beria, c'en est trop. Craignant les effets délétères d'une démocratisation trop rapide, les membres du présidium de l'URRS se réunissent en urgence le 26 juin et demandent à Beria de s'expliquer.

Celui-ci, privé de parole, est arrêté brutalement par le maréchal Joukov et ses hommes qui pénètrent dans la pièce sur ordre de Malenkov. Il est exécuté dans la même journée (la chronique officielle assure qu'il a été jugé et exécuté seulement en décembre 1953).

Le complot contre Beria est mené par un apparitchik (homme d'appareil), le premier secrétaire du Parti Nikita Khrouchtchev. Celui-ci organise sans tarder la mainmise de la nomenklatura communiste sur l'appareil d'État.

L'objectif de cette nomenklatura est de jouir enfin en paix de ses privilèges. Elle y parviendra jusque dans les années 1980, après avoir dénoncé les crimes de Staline pour en exonérer l'idéologie marxiste-léniniste.