Patrick Piro

Johannesburg, le sommet du ridicule

(Politis, 12 septiembre de 2002)

Le méga-Sommet de la Terre a accouché d'une bien prévisible et chétive souris. Les négociateurs se disent satisfaits. Probablement d'avoir réussi à camoufler leur échec.
Ce fut une obsession jusqu'aux dernières heures du Sommet de Johannesburg : produire un « Plan d'action » pour la planète. Qu'importe son contenu, pourvu qu'un texte soit adopté par les 191 pays représentés. L'objet, d'une affligeante platitude, a pourtant subi des marchandages jusqu'à la dernière nuit, et sur une question qui n'avait jusqu'alors pas pointé son nez : les droits de l'homme - de la femme, en l'occurrence, à laquelle certains pays du Sud ne souhaitaient pas qu'il soit fait référence dans le chapitre de l'accès à la santé.
Le Plan d'action de Johannesburg révèle beaucoup plus par ses absences et ses faiblesses que par ses avancées, qui se comptent sur les doigts d'une demi-main, et les associations écologistes sont profondément déçues. Faible sur les questions d'environnement, encore plus sur les questions sociales, mou, évitant tout engagement contraignant : très loin de l'objectif incantatoire de mettre en musique les déclarations du Sommet de la Terre de Rio en 1992, ce document guimauve reflète assez fidèlement le rapport de force opposant les tenants de réglementations (pour la protection de l'environnement ou le respect des droits sociaux) et les chantres d'un libéralisme économique dont les mécanismes sont censés produire de la vertu. Les pays ou les groupes de pays ont endossé l'un ou l'autre rôle selon les thèmes abordés, et ce sont surtout les égoïsmes nationaux qui ont fait recette lors de marchandages peu reluisants : les pays producteurs de pétrole et les États-Unis bloquant toute avancée sur les énergies renouvelables, l'Union européenne et les États-Unis braqués contre la dénonciation des subventions agricoles souhaitée par le G77 (les pays du Sud, en gros), ces derniers freinant la référence aux droits sociaux, etc.
Autisme caractérisé, également, que celui des discours satisfaits de certains chefs d'États - énumérant de menus engagements nationaux, parfois très enlevés à l'image de celui de Jacques Chirac, ou celui, cyniquement sincère, du secrétaire d'État étasunien Colin Powell, qui juge ce sommet « réussi ». Et que dire de l'appréciation du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, évoquant « une impulsion qu'il faudra soutenir (1) » , alors qu'il n'est pas ressorti de cette conférence la moindre vision planétaire à la hauteur des enjeux réels ?
Révélateur : ce sont les entreprises, représentées en nombre, qui expriment le plus nettement leur contentement devant les résultats de la conférence. Et on les comprend : en plus d'être mises à l'honneur par l'appel vibrant lancé par les Nations unies et les États pour le lancement de « partenariats publics-privés » en faveur du développement durable, Johannesburg a vécu sous l'influence constante de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et de ses règles. Comme si ce Sommet des Nations unies était devenu le seul conclave à même de lui disputer la gouvernance des affaires mondiales. Il est saisissant de constater que les principales « satisfactions » qu'ont exprimées les négociateurs de divers pays ont trait à la confirmation de prérogatives de l'OMC (lieu où l'on a renvoyé le débat sur l'élimination des subventions agricoles, par exemple), ou à l'endiguement de ses prétentions (non-soumission des accords multilatéraux sur l'environnement aux règles de l'OMC, etc.). Même s'il a été souhaité que la mondialisation soit « équitable pour tous », la prééminence de l'économie libérale face aux enjeux du développement durable n'a pas été remise en question.
C'est ainsi que l'on a pu autoproclamer « victoires » l'inscription dans le document de Johannesburg du « principe de précaution » et du « principe de responsabilité commune mais différenciée » (les pays riches, plus pollueurs que les autres, sont responsables au premier rang des désordres écologiques planétaires) : ils ont été affirmés il y a dix ans lors du Sommet de Rio. On se satisfait de ce que l'on peut.
(1) dans Le Monde, 6 septembre 2002

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