Roland Lew
Après le Congrès du PCC,
quel régime pour quelle Chine ?

(Le 6 décembre 2002, Inprecor, déc. 2002)


Le 16° congrès du PCC s’est achevé à la mi-novembre. C’est à la fois un évènement devenu routinier, bien maîtrisé, se tenant à date fixe ( tous les 5 ans), ce qui était loin d’être le cas dans le passé ( un Congrès en 1928, puis en1945 , puis en 1956 et le suivant en 1969, après cela devient plus régulier). C’est aussi un non évènement : il s’est déroulé apparemment comme prévu. Et plus frappant : comme prévu depuis plusieurs années. Et il a fait malgré cela brièvement les grands titres des journaux dans le monde : « Le congres du parti chinois embrasse le capitalisme » ( NYT, 18 novembre). Une Chine capitaliste sous « direction communiste » : vaste découverte ! Alors : Banal, contrôlé, surprenant ce Congrès ? Un parti communiste devenu ouvertement procapitaliste, recrutant en priorité les nouvelles élites économiques et les entrepreneurs privés, cela aurait « étonné », stupéfié serait plus exact, deux décennies plus tôt. Mais aujourd’hui quoi de surprenant à cela ? Surtout compte tenu ce que l’on sait de la Chine depuis quelque temps.
Mais enfin si les choses vont sans qu’on le dise, cela va sans doute mieux en le disant. Ou plus exactement : maintenant on peut le dire, il faut le dire, y compris dans le discours officiel.

D’une génération a l’autre

La seule nouveauté significative, annoncée mais à peu près sans équivalent depuis de longues décennies, c’est le large renouvellement du haut lieu du pouvoir : au niveau du comité permanent du bureau politique, le tout petit groupe d’hommes ( sauf erreur de ma part, il n’y a jamais eu de femme dans cet organisme) qui sont censés être les vrais maîtres du pays. Le parti a officiellement promu un nouveau secrétaire général, Hu Jintao, un dirigeant jeune selon les normes chinoises : il n’aura que 60 ans à la fin de l’année. Et les trois principaux chefs des années 1990, et surtout des années de l’après Deng Xiaoping ( décédé en 1997) ne sont plus dans les fonctions suprêmes du parti, Jiang Zemin, le dirigeant promu juste après répression de Tiananmen ( juin 1989), Li Peng, premier ministre au moment des évènements tragiques, le très impopulaire responsable ( aux yeux de l’opinion chinoise) de cette répression ( en fait sous les ordres de Deng), et Zhu Rongji , l’énergique premier ministre, sont en retrait sinon sur le chemin de la retraite. Officiellement du moins. C’est donc une passation dans les règles, et qui a été mise en chantier depuis longtemps : c’est en effet Deng qui avait choisi de faire de Hu Jintao le successeur de son successeur, Jiang Zemin. La première génération des cadres des débuts du PCC, celle de Mao ( né en 1893 il a participé au Congrès de fondation, à Shanghai en juillet 1921, mais avec un rôle modeste) a été suivi par des hommes de la deuxième génération, dont Deng Xiaoping ( né en 1904, communiste dès les premières années 1920) qui fut d’ailleurs une « créature », longtemps un fidèle de Mao, puis son adversaire ( aux yeux de Mao) pendant la Révolution Culturelle, avant de devenir le maître d’œuvre, sans doute consciemment, d’une démaoisation du régime chinois. Deng, à son tour, a largement choisi la troisième génération formée de cadres venus au PCC encore avant l’arrivée au pouvoir en 1949. Mais il s’agit d’hommes ( à ce niveau de la hiérarchie, il s’agit, essentiellement, sinon quasi exclusivement d’ hommes) qui sont entrés dans un parti en plein processus d’ascension ( Jiang Zemin adhère, à 20 ans, en 1946 au PCC), dans une force montante candidate au pouvoir. Plus frappant : le très compétent premier ministre Zhu Rongji, homme réputé intègre, ingénieur de haut niveau, serait entré dans le PCC en octobre 1949, au lendemain de la prise du pouvoir ( il a alors 21 ans), selon une information, plutôt perfide, qui a été communiquée par la presse chinoise (d’expression anglaise) lors d’un de ces voyages au Etats-Unis, il y a quelques années ( il avait, il a toujours, semble-t-il, de sacrés ennemis dans le parti…). C’est donc un rallié du nouveau pouvoir : on est loin de Mao, ou de Zhou Enlai, à qui pourtant il fait parfois penser. Ce sont de redoutables survivants, des hommes d’appareil aguerris, des maître du jeu terrible du pouvoir, pour qui a dû faire sa carrière depuis 1949 jusqu’à nos jours. Zhu a été victime de la campagne « antidroitière » menée contre les intellectuels, en 1957, après il a navigué plus ou moins habilement. C’est d’emblée une élite intégrée à un ordre social dominant et qui est formée dans le moule de ce pouvoir ; mais elle découvre par ses propres voies, son propre cheminement comment vivre, survivre, et même, parfois, prospérer dans ce contexte souvent difficile, toujours sinueux, et parfois dramatique. Comme dans le cas de la bureaucratie soviétique du temps de Staline et de l’après Staline, c’est une élite qui a appris « sur le tas » son métier d’élite, et à faire fonctionner effectivement « le socialisme réel chinois », tout en prenant, peu à peu et sans l’afficher, conscience des problèmes , difficultés et impasses du régime et du pays qu’ils géraient. Derrière et sous l’autorité de Deng Xiaoping, personnage réaliste et le pragmatique par excellence ( comme le fut avant 1949, dans un autre contexte, un certain Mao…), ces cadres occupant des positions de plus en plus élevées ont accepté et, plus encore, en partie piloté une transformation complète du pays, dans l’espoir de répondre à des problèmes pressants du pays, et surtout de faire face à un problème de survie du régime « communiste » , donc de leur propre survie de pouvoir dominant issu de la victoire de 1949. A leur tour, ils ont choisi des successeurs de la « quatrième génération » ( ils s’agit d’une terminologie officielle !), encore et toujours des hommes âgés autour da soixantaine : des cadres bien formés , bien dotés au point de vue scolaire, cooptés par des chefs puissants, éduqués dans le sérail, et pour qui le passé révolutionnaire, c’est juste une idéologie sans contenu effectif ( sauf peut-être pour des parents ou proches plus âgés). Le nouveau secrétaire général, Hu Jintao qui a un bagage d’ingénieur - comme Jiang Zemin, Zhu Rongji, et bien d’autres cadres chinois, et aussi, d’ailleurs, comme une notables partie de l’élite soviétique, en URSS, à partir des années 1930 - appartient à ceux qui sont venus au PCC avant l’arrivée de la déferlante de la révolution culturelle et de son considérable impact, largement négatif auprès de nombre d’ anciens révolutionnaires devenus des notables du PCC. Il s’est montré un gestionnaire prudent, habile, rude quand il la fallait ( au Tibet), capable de se faire bien voir de Deng et de son successeur, et d’échapper à tous les pièges dressés à chaque pas dans la carrière d’un prétendant au pouvoir. Tant et si bien que personne ne sait ce qu’il veut et peut faire : le moindre écart de langage, le plus petit risque pris sont politiquement si dangereux…. Et déjà perce, dit-on, une « cinquième génération », celle à qui incombera peut-être la tâche de la reconversion du régime : d’une mise en adéquation entre les bouleversements socio-économiques et le mode de gestion par un pouvoir, un régime de type nouveau.
Le modèle n’est pas très loin ; il est à Taiwan dans la remarquable mutation du pouvoir Guomindang qui arrive dans l’île en 1949 avec les cadres et l’armée défaite par les troupes communistes, ainsi que leurs proches et familles ( environ deux millions de personnes). C’est un pouvoir très autoritaire, ouvertement dictatorial ( et d’Etat de siège maintenu pendant plus trois décennies) ; un pouvoir qui est, de surcroît, responsable d’une terrible répression, un véritable massacre contre des autochtones ( les descendants des immigrés venus dans l’île au 18° et 19° siècle) : le « 228 », le mal nommé « incident » du 28 février 1947 et ses suites : un long et lourd contentieux entre les nouveaux venus, les nouveaux maîtres et la majorité taiwanaise .Et pourtant ce pouvoir de continentaux qui s’imposent, avec quelle violence, sur la majorité taiwanaise finira par trouver, ou accepter les accommodements, d’abord économiques avec la population, puis par céder, sous la pression répétée de la composante taiwanaise, des parcelles, ouis des pans entiers de démocratie parlementaire, de liberté publique , et puis par lâcher une bonne partie du pouvoir, tout en étant encore et toujours partie prenante du dynamique capitalisme taiwanais et de ses avantages matériels, pour ceux qui en bénéficient. Mais ne poussons pas trio loin la comparaison.
La RPC et Taiwan, ce sont deux univers différents, deux échelles de problème et de possibilités très différentes. Et pas seulement la différence qu’il a, à l’évidence, dans la gestion de 36 OOOkm2 et un peu plus de 20 millions d’habitants d’un côté ; 9,6millions de km2, et plus de 1,3milliards de l’autre. D’une part, un pays qui est déjà développé, avec une minorité de paysans, un capitalisme local solidement implanté ; de l’autre, un pays-continent qui reste massivement rural, est encore en voie de développement, certes rapide mais assez fragile ( du point de vue même des autorités). Il est malaisé de chiffrer l’écart effectif du PNB par habitant. Les chiffres officiels ( en taux de change) montrent des différences énormes, en fait irréalistes. Une estimation plus sobre arriverait à un rapport de l’ordre d un à quatre , en faveur de Taiwan ( on parlait de un à 20 ou à trente, ce qui est dépourvu de sens). Avantage donc à l’île, ce qui est incontestable. Mais dans l’absolu, le pays qui compte économiquement, c’est la RPC, et ce n’est pas ou ce n’est plus Taiwan. Au surplus, l’île, la République de Chine, a une légitimité internationale peu solide ; la RPC, incarne sans le moindre doute ( y compris sur l’île) la Chine : la grandeur et la continuité chinoise, son destin. Malgré les similitudes entre le GMD, formés à partir de 1924 sous le modèle directement importé du centralisme de l’Internationale communiste, et le PCC, ce sont deux structures fort différentes ; les enjeux sont d’une autre nature. Et pourtant : le modèle GMD doit être dans bien des esprits des cadres « communistes » éclairés : la démonstration que l’on peut piloter jusqu’au bout et à son avantage, ou sans trop de perte, une pleine reconversion systémique.
Tout change alors pour que rien ne change, selon la célèbre formule ?
Disons plutôt que tout a déjà tellement changé, et se perpétue par ailleurs, que le Congrès entérine cette situation. Et derrière ce constat, qui est reconnu, il y a tout ce qui doit encore être réglé, résolu : les mille problèmes d’une Chine entièrement transformée, mais aussi revenue à elle, face à sa propre continuité, face aussi aux défis de ce qui change à l’intérieur, et les défis soulevés par le monde extérieur, et les nouvelles données géopolitiques qui rendent ce début du 21° siècle si problématique, lourd de risques sinon de drames.

Ce qui se perpétue

Iil faut tenir compte de ce qui se continue dans une tradition proche et lointaine. Le renouvellement qui apparaît impressionnant et même complet, l’est beaucoup moins en réalité. Jiang Zemin, s’apprête à faire – ou à essayer de faire – exactement ce que Deng à fait avant lui, en quelque sorte « lui a fait » : se retirer du pouvoir pour en fait le conserver jalousement. A la façon que Deng, dans les pas de ce maître manoeuvrier : en gardant les véritables leviers du pouvoir . Ainsi, 6 des 9 membres du nouveau Comité permanent du Bureau politique sont des hommes nommés par lui, parfois des représentants de sa « garde personnelle », certains disent en incluant ses chiens de garde. Même s’il cède comme prévu son titre, plutôt honorifique, de président de la République, il conservera la fonction essentielle de président de la Commission militaire (l’ancienne Commission militaire du Comité Central du PCC) qui fut une source essentielle, sans doute la plus décisive, du pouvoir de Mao et puis de Deng. Deng s’était même permis de se retirer de cette instance, tout en en gardant de fait la haute main, c’est-à-dire le pouvoir réel sur le pays. N’allons pas plus loin dans cette très complexe tienanmenologie ( on s’y égare et se trompe souvent).
Et constatons que cela fonctionne à l’ancienne : une ancienneté dans la vie du PCC ; mais aussi selon des chemins tortueux qui auraient ravi les tenants du pouvoir dans l’ancienne Chine impériale : ils auraient reconnu, en partie, leur Chine de toujours. Jiang Zemin n’a pas l’intention de dételer, et de quitter un pouvoir qu’il a dû attendre longtemps pour pouvoir l’occuper effectivement, même quand il cumulait toutes les hautes fonctions. A 76 ans, il n’a qu’une année ou deux de plus que Deng au moment où celui-ci a commencé à exercer le pouvoir suprême, en 1978-1979 ( sans , dans son cas, en avoir les titres, autre bizarrerie !).
La continuité majeure est surtout, bien entendu, celle du pouvoir unique du parti, de l’imposition de ses règles ( y compris de fixer à sa guise l’ordre de succession dans la direction du pays) : le lieu du pouvoir, de la constitution des élites anciennes et nouvelles ne s’est pas déplacé ou si peu ; et sauf crise majeure, n’est pas près de changer.
Car là est l’essentiel : le PCC a réussi, dans une période d’incroyables bouleversements en Chine et dans le monde, à maintenir son hégémonie sur la société, sur le pays ; et même il a gardé la haute main sur les évolutions quelque fois tourmentées ; il a empêché et bloque toujours sa véritable mise en question. Il n’a pas réussi à se rendre populaire ( Et Jiang Zemin personnellement est l’objet de la dérision et du mépris, et pas seulement parmi les intellectuels), loin s’en faut, ou légitime au sens fort du terme ; mais il a réussi à se rendre indispensable, et à détruire tout embryon d’alternative. Nul ne voit actuellement qui peut, avec quelque crédibilité, le remplacer.
D’une certaine façon, si on fait le point de l’après Mao, une des périodes les plus mouvantes de l’histoire de la Chine, il faut constater qu’un PCC, délégitimé par les souffrances imposées pendant la Révolution culturelle ( 1966-1969), et encore bien plus discrédité ensuite par la corruption générale qu’a engendré sa politique et ses comportements prédateurs, ce PCC s’en est bien tiré. Bien au delà de ce qu’on pouvait penser au vu de la gravité de la situation qu’il devait gérer ; en regard aussi du passif qu’il avait accumulé depuis la RC, jusqu’à la répression de 1989. Sans oublier, plus récemment, les pressions et brutalités exercées sur une société toujours soumise à l’autoritarisme d’un régime à la fois fort corrompu, farouchement attaché au maintien et surtout à la progression de ses privilèges et, au surplus, responsable aux yeux de la population d’une inégalité sociale sans cesse croissante : l’une des plus importantes de la planète, en deux décennies à peine de transformation socio-économique ! En se tournant, d’un regard rétrospectif, vers le quart de siècle écoulé depuis la mort de Mao, il faut résumer la situation d’un bref et lourd constat : ils ont gagné, et cela n’avait rien d’évident, ni de facile.
L’exploit est remarquable, et n’avait rien de prévisible. Cela révèle pas seulement une sous-estimation de ce que ce régime appressif recelait comme ressource d’adaptation, alors qu’il paraissait à bout de souffle et d’inspiration, au milieu des années 1970. Cela montre surtout que bien des mouvements qui travaillaient le régime, la population – il faudrait dire, sans doute, les composantes du régimes et les populations - , et les rapports entre eux n’étaient pas bien compris, ou guère visibles, ou se situaient dans une dynamique qui rendait rapidement obsolète ce que l’on croyait savoir. Cela ne préjuge en rien de l’avenir. Mais cela oblige à bien des relectures du passé. Et à quelque modestie pour le présent, et quant à toute prédiction même à relativement court terme. Rien de trop étonnant, à vrai dire quand on fait un bilan froid du passage de l’ex URSS au monde postsoviétique actuel.

Une Chine en mouvement, une Chine bouleversée

Evidement, derrière cette victoire d’un « Parti communiste » qui gère lui-même et à son profit, y compris au sens le plus littéral du terme, la sortie « du communisme réel », il y a les incroyables bouleversements de la Chine depuis un peu plus de deux décennies, et plus encore depuis les années 1990. Là aussi n’entrons pas dans les détails ( il faudrait des volumes entiers) : il ne reste rien de la Chine maoiste, et à peu près rien du socialisme réel ( en fait irréel) à la chinoise. C’est ce que le parti par la voix d’abord de son chef Jiang Zemin affichait depuis quelques années, et que le Congrès a entériné cette année : tout ce qui s’est fait empiriquement, par essais et erreurs, sous l’empire de la nécessité, par avidité sociale des élites « communistes », par les poussées de nouveaux privilégiés et l’émergence souvent difficile de nouvelles catégories sociales , tout cela est en train de créer la voie chinoise au capitalisme, capitalisme intérieur et ample ouverture économique sur le monde.
Les gagnants sont nombreux. On les trouve dans la nouvelle classe moyenne et riche qui se développe dans les villes, dans les avantages et privilèges importants que s’accordent les maîtres du parti, et plus ouvertement encore leurs fils et proches ( qu’on appelle ironiquement dans la population le parti des Princes). Cette évolution se nourrit de la percée économique de la Chine qui est sur le chemin de devenir une grande puissance économique à l’échelle mondiale : si le revenu par habitant est encore modeste, en particulier dans les campagnes, le niveau de consommation, surtout dans les villes, a fortement progressé ; le pays est la 2° puissance économique du monde (dépassant le Japon), la 3° si l’on prend l’Union Européenne comme un tout. C’est la première destination au monde des capitaux ( prenant la place des Etats-Unis), le premier dépositaire de réserve de change ( en incluant Hong Kong). Le pays est en train de devenir « l’atelier du monde » ( comme on disait pour la Grande Bretagne de la première moitié du 19° siècle), un pays où se fabriquent des produits que l’on retrouve partout dans la planète. Et qui progressivement monte le niveau technologique de ses produits manufacturés ( à l’image de ce qui s’était fait, par exemple, au Japon). Tout en ayant encore, de ce point de vue, du chemin à parcourir : mais le pays va plus vite qu’on le pensait il n’y a guère. C’est le pays, où il « faut investir », « être sur place », et être bien vu. On est loin de la Chine, le pays pestiféré de la période des tueries commises contre les étudiants en 1989.
Et les perdants ? A des degrés divers, c’est la majorité de la population. D’abord la majorité rurale qui , une fois de plus, est défavorisée et à la traîne par rapport aux villes, ces villes où ils cherchent par dizaines de millions un travail souvent pénible. Et pourtant, c’est le dynamisme du monde paysan et le mouvement issus des campagnes qui ont constitué le véritable moteur des transformations économiques et sociales de l’Après Mao, et l’indispensable ingrédient permettant le succès du projet réformiste de Deng Xiaoping, du moins lors de ses difficiles et résistible débuts, les premières années de la décennie 1980. Cela ne veut pas dire que les paysans se retrouvent toujours réduits à la très grande misère qui était leur lot 20 ou 30 ans plus tôt, ( pour ne rien dire de leur effroyable condition avant 1949) ; mais leur vie reste difficile ; l’écart avec la situation et le niveau de vie des citadins s’est gravement accru depuis environ 15 ans. Les autres grands perdants, ce sont les ouvriers des usines d’Etat des villes, et tout particulièrement les femmes ouvrières. Après bien des hésitations, le pouvoir « populaire » a décidé, dans la cohérence des se choix socio-économiques, de casser les acquis de la période maoiste, au milieu des années 1990. En quelques années, on a assisté, malgré de nombreuses tensions sociales, grèves et actions diverses, au processus de quasi disparition du statut relativement protégé de l’ouvrier du secteur étatique. A la place, c’est un nouveau prolétariat parfois mieux payé, mais précarisé et surexploité qui se constitue, dans le nouveau capitalisme, privé, étatique, semi étatique, ou dominé par les étrangers. Et là ce sont des formes d’exploitation assez similaires à ce que l’on connaît dans ledit tiers monde (et parfois dans les terribles formes du capitalisme occidental du 19° siècle). Cela fait beaucoup de monde, et beaucoup de souffrance. Et on en oublie ( la situation des vieux, les périphéries les plus misérables du pays, le nouvelle misère urbaine, etc.) Sans oublier aussi les aléas écologiques, les incertitudes, les problèmes de la gestion de l’économie chinoise, et du pilotage étatique de cette grande puissance en devenir dans la conjoncture complexe et dangereuse qui est caractéristique des années actuelles.
Le pays et la société chinoise sont en plein mouvement, riches de créativité, de potentialités, mais aussi de dangers, sinon de désastres liés aux choix à la fois autoritaire du PCC ( mais d’un autoritarisme qui ne s’impose pas toujours, ni facilement), aux formes encore hybrides de capitalisme ( lourde présence de la tutelle du pouvoir, fragilité du capitalisme privé local). Le régime s’efforce de pratiquer un jeu d’équilibriste fait à la fois de séduction, crainte et résistance, pied à pied, face à la pénétration capitaliste extérieure : une façon d’utiliser, de respecter, et de détourner les règles de l’OMC ( Organisation mondiale du commerce) dans laquelle la RPC vient d’entrer après 15 années d’effort. Il doit faire face encore et toujours aux poussées sociales multiformes souvent incontrôlables, même si le pouvoir n’est pas menacé du fait de la fragmentation des actions nombreuses de résistances, et de la faiblesse de l’opposition ouverte. Sans négliger la fragilité du système légal (qui s’améliore mais lentement), et en gardant en tête l’arbitraire qui caractérise les comportements du régime et de ses agents dans ses relations avec le peuple, surtout « le petit peuple », arbitraire qui apparaît chaque jour plus humiliant, plus inacceptable à une population mieux éduquée, mieux formée, plus consciente de ses droits, des réalités du monde. Ou encore, il faudrait parler de la violence de la vie sociale et la considérable criminalisation ( mais ce n’est en rien une exception sur cette planète) de la vie économique.
Les succès du proche passé sont indéniables, le prix payé par la majorité de la population est lourd, la stabilisation économique, sociale et politique n’est ni acquise ni garantie. Ce qui n’exclut pas l’enthousiasme des gagnants, et la frénésie de consommation qui s’empare d’une partie des citadins et de quelques privilégiés des campagnes : il s’agit à la fois du plaisir de pouvoir accéder à du mieux être, et peut –être, c’est une occasion de saisir, ici et maintenant, tout ce qu’on peut, tant que l’on peut, à côté d’autres, contre d’autres, dans la crainte de lendemains incertains, et en se rappelant des souvenirs douloureux d’un passé de misère ou encore de des périodes brutal retournement répressif du régime.
Ce qui est devenu maintenant évident pour tout le monde en Chine et ailleurs, et est d’ailleurs une source de fierté pour nombre de chinois, c’est que la Chine du 21° siècle accède à un statut de force majeure à l’échelle planétaire. Elle est certes encore loin de pouvoir égaler la puissance nordaméricaine : surtout du point de vue militaire, ou de son déploiement géopolitique. Mais c’est un pays qui compte et comptera de plus en plus, pour le moment dans la logique de l’ordre mondial existant : de l’insertion capitaliste de la Chine dans la logique capitaliste actuelle. Et en reconnaissant, de facto, les rapports de force à l’œuvre : la prépondérance des Etats-Unis. Demain peut -être pour son propre compte, et pour effacer enfin définitivement les terribles humiliations subies à époque moderne . Ce que cela peut signifier, nul ne le sait. On sait ce qu’il en est des attentes géopolitique actuelles, dans ses grandes lignes du moins : la réunification à terme, sous l’autorité de la mère patrie ( « communiste » ou autre) de l’île de Taiwan ; la reconnaissance de la prééminence chinoise dans son pourtour : la volonté de contrer ce qui est ressenti , et est peut être une réalité effective, comme un sentiment d’être encerclé par l’hyperpuissance nordaméricaine. Une place reconnue dans la gestion de la zone pacifique est aussi revendiquée. A terme, c’est plus flou : le pays doit d’abord encore fortement progresser du point de vue économique, force militaire, stabilisation sociale, maîtrise des problèmes écologiques. Ou encore, tâche redoutable, il faut résoudre la question de l’avenir et de la nature du régime ( ce qui ne veut pas forcément dire la question de la démocratie !). Si le pays-continent avance dans ces directions , ce qui n’a rien de garanti, ni de très proche, tant les problèmes sont lourds et multiples, - mais y arriver paraissait à peu près impensable , il y a encore deux décennies - , alors le pays sera un des grands décideurs au niveau mondial. Dans quel sens , avec quels projets, pour et contre qui, avec quelles innovations, ou quel « déjà–trop-souvent-vu », personne ne peut l’anticiper. Mais beaucoup se pose déjà de nombreuses questions à cet égard. Et pas seulement dans les sphères dirigeantes aux Etats-Unis ou ailleurs. La Chine a déjà beaucoup changé, et elle va continuer à le faire. Mais dans tout cela le socialisme et l’émancipation populaire n’ont pas leur place, pour le moment…Vaste découverte ! Triste constat !

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