Zhe Ji

Chine : L'état de la culture, la culture de l'Etat.
A propos du "Sommet culturel 2004"

Mars 2005
La Vie des Idées, Février-Mars 2005

Avec la croissance économique et l'ouverture à l'étranger, la Chine retrouve désormais confiance dans sa culture traditionnelle. Celle-ci n'est plus considérée par le pouvoir comme un obstacle sur le chemin de la modernité, mais comme un héritage précieux menacé par la globalisation. La dernière démonstration de ce changement est le "Sommet culturel", organisé à Pékin en septembre 2004 par la "Société pour la promotion de la culture chinoise" et consacré au thème "globalisation et la culture chinoise".

Comme pour la plupart des "ONG" chinoises, il s'agit en réalité d'un organisme officiel relevant du Ministère de la culture et dont le président (actuellement Gao Zhanxiang, ancien ministre de la culture) est désigné par le Comité central du Parti communiste. Aussi n'est-il pas surprenant que la rencontre ait pris la dimension d'un sommet quasi-officiel dont les initiateurs représentent l'alliance entre le pouvoir et les élites intellectuelles. Réunissant des personnages de premier plan du monde artistique, littéraire et scientifique chinois, le "Sommet" propose ainsi, dans sa déclaration finale, une vision de la culture chinoise pour le XXIe siècle. Si ce n'est pas la première déclaration sur la culture en Chine communiste, cette initiative met en lumière le nouveau discours "culturaliste" tenu par le pouvoir.

A première vue, il s'agit d'un recueil d'idées parfaitement irréprochables sur la diversité culturelle, la démocratie, les droits de l'homme, etc. Mais la déclaration reconnaît également le droit de tout pays de protéger sa propre culture et de choisir librement d'accepter ou de refuser les éléments culturels en provenance des pays étrangers. Cette formule a suscité la critique des intellectuels libéraux comme Yuan Weishi[1], philosophe de l'Université de Sun Yat-sen à Guangzhou, pour qui elle confie trop de pouvoir à l'Etat sans poser la question de sa légitimité. Pour Yuan, le vrai développement culturel passe par l'acceptation de la démocratie, de l'Etat de droit et l'économie du marché, autrement dit par un processus d'assimilation culturelle qui se déroule au niveau des institutions politiques. Ce n'est pas tant l'invasion culturelle de l'Occident qui pose problème, que les insuffisances de la culture chinoise elle-même, par exemple son manque d'esprit démocratique et scientifique.

Un culturalisme au service du pouvoir

Ce n'est pas l'avis des signataires de la "Déclaration", pour qui la globalisation est précisément la cause de la crise actuelle de la culture. On a pu ainsi entendre, lors des débats, un Wang Meng[2]appeler de ses vœux la protection des caractères traditionnels chinois contre l'alphabet occidental, ou un Xu Jialu[3]critiquer vigoureusement l'"offensive" des cultures étrangères sur le sol chinois et prôner la "reconstruction culturelle" de la famille, de l'armée, de l'entreprise et en particulier de l'école, de sorte que la vie de chaque Chinois soit entièrement immergée dans la culture nationale[4]. Ces appels en disent long sur le chemin parcouru depuis la Révolution culturelle : privé d'utopie révolutionnaire, le Parti communiste s'est vu obligé de renouer à la fois avec l'économie de marché et le nationalisme d'avant 1949. La revalorisation de la culture est le troisième pilier de la même stratégie de stabilisation du pouvoir. Car c'est bien dans ce but, plutôt que par souci de restaurer la culture chinoise, que le parti communiste promeut désormais une sorte de nationalisme culturel.

Cette stratégie suit deux axes. D'une part, l'Etat est en train d'inventer le mythe d'une culture chinoise homogène et transmise intacte de siècle en siècle, une culture qui serait élaborée communément par les cinquante-six ethnies présentes sur le sol chinois actuel. C'est précisément pour symboliser l'unité de la "culture chinoise" à travers le temps et l'espace que furent invités au "Somment culturel 2004" les représentants de plusieurs ethnies minoritaires ainsi que de communautés chinoises de Hong Kong, de Macao, de Taiwan et de pays étrangers. La réalité est évidemment toute autre : la Chine est un pays très hétérogène sur le plan culturel et linguistique, et la culture chinoise à proprement parler a subi plusieurs ruptures dans l'histoire.         

D'autre part, la propagande officielle brouille consciemment les frontières entre les identités culturelle, politique et nationale, de façon à ce que l'Etat apparaisse comme le représentant légitime de la culture. Le pouvoir tente ainsi de faire passer la culture officielle pour la culture populaire, en érigeant par exemple le culte de la couleur rouge en tradition populaire. La confusion accrue entre la culture et la nation d'une part, l'Etat et le Parti de l'autre, témoigne de la réussite de cette stratégie qui, dans sa forme extrême, va jusqu'à ériger le caractère autoritaire du régime en trait distinctif de la culture chinoise.      

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[1]Yuan Weishi, "Zhongguo wenhua : ying shijie chaoliu fangke de shengtian" (La culture chinoise : C'est seulement en s'adaptant à la tendance générale du monde qu'elle pourra s'élever), Nanfang dushi bao, le 21 septembre 2004.
[2]Ecrivain, ancien ministre de la culture.
[3]Linguiste et vice-président de l'Assemblé nationale et président de l'"Association chinoise pour le progrès de la démocratie", un des huit partis autorisés qui créent les apparences d'une démocratie.
[4]Li Ying, "Wang Meng pengji hanyu yangjingpang fengqi. Luntan changtan zhonghua wenhua" (Wang Meng critique le langage chinois de style pidgin. Le Sommet constitue un forum de la culture chinoise), Beijing yule xin bao, le 5 septembre 2004.