SébastienVelut
Santiago Roncagliolo, La quatrième épée. L’histoire d’Abimael Guzmán et du Sentier lumineux
(Paris, Le Cerf, 2012).
(Cahiers des Ameriques Latines, 70, 2013).

Le journaliste et écrivain Santiago Roncagliolo s’était fait connaître en 2006 par un roman policier, Abril Rojo, lauréat du prix Alfaguara, qui rendait compte de façon magistrale du climat de violence régnant dans une petite ville de la Cordillère, Ayacucho, théâtre des premières actions du Sentier lumineux. Ce petit livre prolonge les investigations de Santiago Roncagliolo sur les violences au Pérou, à partir d’une enquête consacrée au fondateur et leader du Sentier lumineux, Abimael Guzmán, dit le « président Gonzalo » dont il retrace la carrière depuis sa naissance dans la province d’Arequipa jusqu’à son procès et son incarcération dans une prison de haute sécurité à Lima.

Le livre répond à une préoccupation personnelle de l’auteur, Péruvien ayant passé de nombreuses années à l’étranger, qui jette sur son pays natal un regard à la fois proche et lointain, reposant sur des souvenirs personnels des années d’exacerbation de la violence, lorsque des attentats se produisaient dans la capitale et occasionnaient des coupures de courant. Un regard fait de sympathie, mais aussi d’incompréhension face au déchaînement de la violence et aux actions absurdes du Sentier lumineux qui avait fait pendre aux poteaux électriques des chiens errants avec l’inscription « Deng Xiaoping, fils de chien ». Santiago Roncagliolo cherche à retracer le fil des événements en interviewant des acteurs des deux bords, responsables et militants du Sentier, militaires chargés de la répression, journalistes. Sans se pencher sur les causes profondes de la violence, il en montre les mécanismes quotidiens. L’aveuglement idéologique du Sentier lumineux, sous la conduite d’Abimael Guzmán formé par le parti communiste chinois et qui prend pour modèle Mao Zedong, amène les militants à accepter sans condition les décisions du mouvement et à se livrer à des autocritiques, parfois suivies par des exécutions publiques. De son côté, la police et l’armée péruvienne emploient, particulièrement à partir de la première présidence d’Alan García puis sous celle d’Alberto Fujimori, les méthodes tristement connues de lutte contre la « subversion » : enlèvements, exactions, tortures, mises en scène et manipulations. Ces années extrêmement confuses firent plusieurs dizaines de milliers de victimes ; elles permirent aussi le développement du narcotrafic dans un climat de dissolution de la légalité.

Au centre du dispositif du Sentier lumineux, Abimael Guzmán garde dans les pires moments du conflit des allures du professeur qu’il a été, au début des années 1960, à l’université San Cristobal de Humanga, et aspirant à devenir la « quatrième épée du communisme ». Passé dans la clandestinité au début des années 1980, il consacre la plus grande partie de son temps à la lecture et à l’écriture jusqu’à son arrestation en septembre 1992. Cela complète un portrait, dressé depuis une enfance dans la région d’Arequipa qui ne semble pas le destiner à une carrière de révolutionnaire. Et c’est bien là l’un des points aveugles du livre. Santiago Roncagliolo décrit de façon convaincante un personnage devenu un mythe de l’histoire péruvienne, à tel point que les légendes le prétendaient capable d’échapper à la police en se rendant invisible. Mais il ne retrace pas la façon dont cet intellectuel de province a pris la tête d’un mouvement maoïste capable de menacer l’État péruvien jusque dans la capitale. Il n’examine pas non plus l’idéologie du Sentier lumineux et ses liens avec d’autres partis révolutionnaires au Pérou, à commencer par le mouvement Tupac Amaru. Il passe très rapidement sur les textes théoriques alors qu’ils constituaient, pour Abimael Guzmán, son apport essentiel.

Cette enquête, très personnelle, a donc les qualités et les défauts d’un reportage. La lecture en est aisée, le récit bien mené, les portraits et les atmosphères bien rendus, mais l’auteur se garde bien de livrer le moindre jugement et même de proposer des explications. Par ailleurs, beaucoup d’informations factuelles sur la période de violence figurent dans le rapport de la commission Vérité et Réconciliation. L’apport principal du livre tient donc plutôt dans les éléments recueillis sur les années de formation du « président Gonzalo » et les entretiens avec certains protagonistes. Il sera certainement une base utile pour des recherches plus approfondies sur le Sentier lumineux.

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Pour citer cet article
Référence papier
SébastienVelut, « Santiago Roncagliolo, La quatrième épée. L’histoire d’Abimael Guzmán et du Sentier lumineux », Cahiers des Amériques latines, 70 | 2013, 163-165.
Référence électronique
SébastienVelut, « Santiago Roncagliolo, La quatrième épée. L’histoire d’Abimael Guzmán et du Sentier lumineux », Cahiers des Amériques latines [En ligne], 70 | 2013, mis en ligne le 01 juin 2013. URL : http://cal.revues.org/2418.