Récente campagne de l'UDc contre la libre circulation

 

Emmanuel Lemoine
Démocratie directe et xénophobie participative
Europa. www.journaleuropa.info

            La Suisse divise sa gouvernance en deux instances distinctes et complémentaires : l’État fédéral et les cantons. Les 26 cantons qui composent le pays sont très indépendants et ne délèguent à l’échelon supérieur – l’État fédéral – que les tâches qu’ils ne peuvent pas assumer eux-mêmes. Ainsi, la Suisse possède 26 procédures pénales et fiscales, 26 systèmes scolaires, 26 modes de gestion de la santé, 26 polices cantonales... Et parfois davantage, car certains cantons importants se divisent eux-mêmes en communes qui ont également ce type de souveraineté.

            Le mot «fédéralisme» vient du latin fœdus, qui renvoie dans l’Antiquité aux traités que signait l’Empire romain avec une cité conquise pour lui laisser une certaine indépendance. Ce système actuel découle d’une guerre civile qui opposait les cantons libéraux, partisans d’une centralisation plus forte, aux cantons catholiques-conservateurs, qui défendaient leur souveraineté. Le fédéralisme comme principe d’organisation politique figure à l’article 3 de la Constitution adoptée en 1848, pour équilibrer les volontés centralisatrices des uns et les désirs fédéralistes des autres. Il n’est en aucun cas figé dans une forme immuable. L’historien Christian Sonderegger constate une «perte insidieuse de souveraineté cantonale» (1). Selon lui, «le fédéralisme est même en danger car de plus en plus, les cantons déplorent être les organes d’exécution de décisions prises par la Confédération. Une éventuelle fusion cantonale est encore largement contestée par les citoyens, régulièrement consultés sur la question. Mais le processus est en marche entre communes, au niveau inférieur. La question de savoir si ces fusions conduisent forcément à une perte d’autonomie n’est pas encore tranchée».

La culture du consentement

            Le système démocratique suisse a lui aussi des particularités, du fait de son fonctionnement fédéral. Les citoyens suisses sont régulièrement sollicités sur des sujets aussi divers que l’assurance maternité, la politique d’immigration, la politique agricole, la prescription médicale d’héroïne, etc.

            Il existe deux types de votations : le référendum dit obligatoire permet de refuser ou d’accepter les décisions prises par le Parlement ; le référendum facultatif concerne, lui, n’importe quelle décision, à partir du moment où 50 000 signatures demandent une votation. Le droit d’initiative, inscrit dans la Constitution fédérale depuis 1891, permet également de soumettre au vote une demande de modification de cette Constitution (nouvel article, amendement ou révision totale), signée par au moins 100 000 personnes. Ce modèle a d’ailleurs inspiré un article du traité de Lisbonne qui prévoit de soumettre au vote du Parlement européen une décision signée par au moins un million de citoyens. Cette éventuelle sanction populaire représente une épée de Damoclès que le Parlement a toujours à l’esprit. Par conséquent, les députés se doivent d’intégrer, dès le stade de l’élaboration d’une loi, l’opinion des groupes qui auraient les moyens de lancer le référendum.

            Mais le fait de voter directement pour ou contre une loi n’implique nullement de bien connaître tout l’environnement et les conséquences qu’elle peut provoquer. De plus, l’organisation systématique d’un suffrage pour le vote de chaque loi revient à faire de chaque citoyen un député. Ce qui n’est pas loin de la réalité, car dans encore 2 500 communes suisses, les citoyens se réunissent, au moins une fois par an, en Assemblée communale. Ils forment alors le Législatif communal pour voter à main levée et se trouvent être la plus haute instance politique du canton.

Des partis (presque) non extrémistes…

            Le Conseil fédéral suisse, c’est-à-dire le gouvernement, se forme depuis 1959 selon une règle non-écrite, appelée «formule magique». La formule arithmétique 2-2-2-1 détermine la répartition des sièges de ministres entre le Parti radical-démocratique (PRD, libéral), le Parti démocrate-chrétien (PDC, centre), le Parti socialiste (PSS, gauche) et l’Union démocratique du centre (UDC, droite populiste). En 2003, la règle a été modifiée au vu de la nouvelle donne électorale, notamment la montée de l’UDC : tous les partis récupèrent deux fauteuils à l’exception du plus petit, le PDC, qui n’en a qu’un.

            Ces quatre formations politiques, identiques depuis des décennies, se partagent la scène politique aux côtés d’une quinzaine de petites autres, dont certaines n’existent qu’à l’échelle cantonale. Un cinquième parti voit le jour qui, après les dissolutions internes à l’UDC, vient perturber cet équilibre.

            Bien qu’il ait remporté les élections fédérales de 2007 haut la main, ces derniers temps ont été difficiles pour ce vieux parti de droite populiste (comme disent poliment nos voisins suisses, pour ne pas dire extrême droite). En décembre 2007, le parlement délaisse Chritoph Blocher, ministre sortant de la Justice et représentant de la section la plus radicale de l’UDC, pour lui préférer Eveline Widmer-Schlumpf, qui n’était pourtant pas candidate. Cette coalition entre les partis socialistes, du centre et les Verts contre Chritoph Blocher est quasiment sans précédent au pays du consensus politique. Eveline Widmer-Schlumpf, accusée de traîtrise et de complot au sein du parti, est évincée dans le courant de l’année 2008 et Samuel Schmid, lui aussi partisan de l’aile modérée de l’UDC, la rejoint dans son nouveau Parti bourgeois démocratique. D’un coup, les deux représentants de l’UDC au gouvernement changent d’étiquette. Christoph Blocher se radicalise et s’autoproclame «parti d’opposition».

            Mais cette politique radicale n’a pas payé pour autant. En décembre 2008, Ueli Maurer est élu au poste de conseiller fédéral, chaise laissée vide par Samuel Schmid pour des soucis de santé. Après avoir présidé l’UDC sous la ligne agressive blochérienne, le disciple a désormais dépassé le maître (ou Maurer n’est-t-il qu’une marionnette de Blocher ?). Une chose est sûre, la ligne politique défendue par le parti ne faiblira pas. Maurer avait notamment fait scandale avec une affiche pour l’expulsion des délinquants étrangers qui montrait un mouton noir chassé du territoire national par des moutons blancs2. Il milite durement contre l’avortement, le travail des femmes et l’Europe. De quoi donner du travail à sa nouvelle collègue Eveline Widmer-Schlumpf, qu’il décrivait autrefois d’«appendice enflammée qui doit être éliminée». De grands moments d’élans démocratiques et d’argumentaires politiques en perspective...

1. Dans la série de publications Aktuelle Schweiz, 2004.
(Contrecampagne de moutonsdegarde.ch)