Frédérique Giraud
Le Dictionnaire révolté d’économie, de Raphaël Didier (1)
(Lectures, le 31 mai 2011).
« Révolté » c’est ainsi que se définit ce petit et original dictionnaire publié aux éditions Bréal. Il aurait aussi pu être dit engagé, partisan, ou encore objecteur de conscience, car c’est bien là son objectif premier et assumé : déclencher chez le lecteur une prise de conscience et l’envie de participer aux débats économiques. Carré, de format 15*15, ce dictionnaire a tout d’atypique. Il doit autant être lu que regardé. En effet, il est savamment nourri de dessins d’humeur et caricatures signées Titom, qui sévit aussi chez Attac. Illustrant à peu près une définition sur deux, ces dessins participent pleinement de l’économie de l’ouvrage. Ils donnent le ton, et structurent la démonstration critique qui parcourt ces définitions. Engagés et révoltés tels sont bien aussi ces dessins.
Passons au choix des définitions elles-mêmes. Notons dès à présent qu’il manque un outil indispensable : un index récapitulant les entrées. D’action à « zhéros », en passant par « inégalités de salaire », flexibilité, infirmier(e), fourmi, évasion fiscale ou encore « promo zep », télévision, mouton….la sélection de mots proposés est « révoltée ». Résolument inscrits dans les tendances récentes de l’économie libérale (flexibilité, spéculation…), les mots choisis résonnent aussi par leur actualité.
Si l’on zoome du choix des mots aux définitions elles-mêmes, le potentiel militant s’affirme. Il n’y a qu’à prendre le mot « zhéros » pour s’en convaincre. Ce néologisme est défini comme un « financier à l’origine d’une idée géniale, qui n’était en fait qu’une vaste escroquerie » et l’auteur convoque pour preuves les cas Madoff, Nick Leeson et Jérôme Kerviel. La flexibilité est définie comme la « pseudo condition d’existence du salarié dans l’entreprise du XXIe siècle ». Cette définition est assortie d’un dessin titré « Flexiland. Au pays de la flexicurité, on va bien s’amuser » : au programme de ce parc d’attractions, un toboggan pour les licenciements collectifs, un parcours du combattants pour les chômeurs, un train fantôme spécial pensions…Le dumping est défini comme la façon de « profiter des différences de législation entre les pays pour se remplir les poches ». La définition du bouclier fiscal « synonyme d’injustice sociale » n’a rien à envier à celle de « bisounours » (Ministre de l’économie qui croit que chaque chiffre qu’on lui fournit est porteur d’un message d’espoir), ou encore productivité « indicateur qu’un patron surveille, avec la rentabilité comme le lait sur le feu ».
On l’aura aisément compris, ce Dictionnaire révolté d’économie est avant tout un livre très grand public aux définitions incisives. Il se veut une réponse face à l’abandon du débat public, et ce que Raphël Didier nomme « l’expertocratie », à savoir la domination d’un « petit nombre d'experts autoproclamés et surmédiatisés, qui décide, en dehors de tout cadre démocratique, des réponses à apporter aux questions économiques, comme si nous désirions éviter que soient soulevées les bonnes questions » (2). On comprend mieux la présence des définitions : mouton, oligarques, jungle, scientisme, H1N1 ou encore télévision. Le militantisme tout azimut de l’auteur vise d’abord les médias qui passent sous silence les « vraies » vérités économiques, ainsi la notice « part des jeunes au chômage » définit ce rapport comme « bien utile pour comprendre les petites manipulations sémantiques de la politique » , le système capitaliste et surtout les marchés financiers. Le pire serait pour Raphaël Didier d’admettre les vicissitudes du capitalisme. L’enjeu est bien pour lui, à travers de dictionnaire de faire en sorte de replacer l’homme au centre de l’économie pour qu’il puisse se saisir des possibilités de débat offertes par le système démocratique. Mais au pays de la critique et de l’amusement indigné, le savoir est-il roi ?
Ce dictionnaire s’il offre des chiffres précis, mais épars, et des définitions somme toute affutées, ne dispense pas le lecteur curieux d’un détour productif (à la Böhm-Bawerk) vers un vrai dictionnaire d’économie, afin de pouvoir mieux saisir les subtilités et licences de l’auteur (3).
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(1) Paris, Bréal, 2011.
(2) C’est ainsi que l’auteur présente son ouvrage sur son blog et sur la page Facebook afférente.
(3) C’est la revanche du succès de l’anti-manuel que de se nourrir à la source…
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