Michel Soudais

Derrière le vote "Arlette"

(Politis, 4 avril 2002)

 El presente artículo fue publicado dos semanas antes de la primera vuelta de las recientes elecciones presidenciales francesas.

C'est une des surprises de l'élection présidentielle. Une source d'interrogations, d'incompréhension ou d'inquiétude. Quatre des cinq principaux instituts de sondage créditent la candidate de Lutte ouvrière de 10 % des intentions de vote.

Pour sa cinquième candidature dans une élection présidentielle, un record, Arlette Laguiller, 62 ans, est au faîte de sa gloire. Même Raymond Barre lui voue « une grande estime ». « Elle a, poursuit l'ancien Premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing, une fermeté dans son attitude, une rigueur dans ses opinions (qui ne sont pas les miennes, mais je les constate) qui méritent beaucoup de considération. » Intouchable, Arlette ? Pour surprenant qu'il soit, cet éloge n'explique pas la brusque percée de l'ancienne dactylo du Crédit Lyonnais dans les sondages. Une percée si brutale que certains n'excluent plus qu'elle puisse terminer au rang du... « troisième homme ». Mais qui ne doit cependant pas grand-chose au hasard. Longtemps moquée pour son discours invariable et simpliste, son débit de parole saccadé, son ouvriérisme indécrottable - sa marque de fabrique, inséparable de l'histoire de Lutte ouvrière -, Arlette Laguiller est devenue « Arlette » au milieu des années 1990. Le chanteur Alain Souchon en 1993 et les Guignols, où elle fait son entrée en novembre 1994, ont achevé de populariser l'image d'une fille du peuple, franche, directe et qui n'a pas changé, en dépit des mandats qu'elle est parvenue à conquérir, au conseil régional d'Île-de-France tout d'abord, au parlement européen, ensuite. Le « Saint-Just au féminin » raillé en 1973 dans les colonnes du Figaro, quand elle faisait ses classes électorales face au gaulliste Joël Le Tac, s'est mué en « sainte du peuple », selon l'expression de Daniel Bensaïd. Une icône ! Dans les premiers sondages présidentiels, tout au long de l'année 2001 et jusqu'en février, « Arlette », forte de cette image, pesait entre 6 et 7 %, confirmant ainsi que la cristallisation électorale d'un vote à l'extrême gauche, perceptible dès l'élection présidentielle de 1995, confirmé lors des régionales en 1998, aux européennes en 1999 ou aux municipales en 2001, était bien une donnée durable de la vie politique française. L'entrée en campagne de Lionel Jospin avec un projet qui, de son propre aveu, n'est « pas socialiste » a fait le reste. Tous les observateurs auront noté que l'envol d'Arlette Laguiller vers les 10 % coïncide avec la déclaration de candidature du Premier ministre et un début de campagne surtout marqué par la polémique sur l'âge du locataire de l'Élysée. Ni les mises en garde du socialiste François Hollande contre une « candidature qui stérilise la portée des intentions qui se portent sur elle », ni la stigmatisation par Jean-Pierre Chevènement d'un « vote défouloir » comparable au vote en faveur de Jean-Marie Le Pen, ni les attaques des dirigeants du Parti communiste qui ne manquent pas une occasion de stigmatiser l'inefficacité de cette candidature, ni les mises en garde médiatiques contre l'inexistence de son programme ou son léninisme archaïque et totalitaire n'ont jusqu'ici été en mesure de faire reculer les intentions de vote en sa faveur. Sans doute parce que, comme le note Philippe Méchet, directeur général adjoint de la Sofres, « l'image d'Arlette Laguiller est de plus en plus désidéologisée, de moins en moins celle d'une gauche radicale, marxiste ». Les intentions de vote en sa faveur, assure-t-il, marquent « d'abord l'insatisfaction des électeurs à l'égard des autres candidats » : « Arlette Laguiller est typiquement le symbole d'un rejet du reste de l'offre politique. » Face aux autres candidats, « elle a une sorte de constance et est un peu mode dans les médias ». Quand 9 % des cadres supérieurs et 8 % des chefs d'entreprise déclarent voter « Arlette », cela explique certes le « surplus » d'intentions de vote enregistré en mars, jauge-t-il, mais cela n'en fait « pas un vote ultra-politique ». « Quand elle est créditée de 10 %, il y a effectivement 3 % de vote d'extrême gauche, plus 3 % de vote protestataire qu'elle avait d'ailleurs eu en 1995, juge-t-il. Le reste c'est de l'exaspération. » Pour autant, Robert Hue est-il fondé à assimiler ce « vote refuge » à un « vote blanc » ? La pasionaria de Lutte ouvrière séduirait-elle d'avantage le « bobotariat » que le prolétariat qu'elle prétend représenter ? Sûrement non. Même s'il commence à transcender les catégories sociales - ce qui pour tous les politologues est inévitable à un certain score -, le vote « Arlette » conserve une base populaire incontestable. Selon le dernier sondage de la Sofres, réalisé les 27 et 28 mars, la candidate trotskiste obtient 12 % dans les professions intermédiaires, catégorie qui comprend les cadres moyens et les enseignants, mais 17 % parmi les ouvriers. C'est aussi un vote jeune - 12 % parmi les moins de 50 ans, à peine 4 % chez les plus de 65 ans, c'est-à-dire les retraités. Pour Philippe Méchet, cela caractérise le vote d' «une France active, plutôt populaire » et cette audience chez les ouvriers a « un vrai sens» : « Comme toutes les autres catégories de la population, les ouvriers sont assez marqués par les préoccupations de sécurité mais ils le sont aussi fortement par l'économie. Là, ils trouvent en « Arlette » un message économique qui va au-delà du message sécuritaire. C'est plutôt une bonne nouvelle parce qu'ils soulignent que l'économie cela existe. Et ont déjà obligé Lionel Jospin à gauchir un peu son discours. »

 

Libros Publicaciones Anteriores Inicio